Il y avait sans doute un tas d'activité bien plus amusantes que le fait de passer son dimanche soir le nez plongée dans des bouquins poussiéreux. Shishi en était bien consciente. Cependant, contrairement à certains, l'asiatique n'était pas là pour s'amuser. Aussi avait-elle profité d'un temps mort pour se rendre
à la bibliothèque. Son sac à dos sur l'épaule, fidèle à elle-même, elle avait embarqué des biscuits, et un thermos de thé. Ainsi était-elle prête à passer de longues heures dans la quiétude apportée par le lieu. Elle avait commencé par parcourir les étagères, sélectionnant les divers ouvrages qui l'intéressaient. Puis, une fois que ses bras frêles n'avaient pu en porter davantage, elle s'était installée à une table, et vidé le contenu de son sac.

Shishi était donc attablée, la tête dissimulée par plusieurs volumes de livres en tous genre. Une biscuit coincé entre ses lèvres, elle parcourait les pages de l'un d'eux, sa main serrant une plume, et maintenue à quelques centimètres d'un carnet. Lorsque des bruits de pas s'élevèrent dans le silence du lieux cependant, Shishi leva la tête, pour croiser le regard de Hitodama. Qui d'autre, en même temps ? Un doux sourire à son attention, tandis qu'elle repose sa plume à même la table. « C'est le calme ou la connaissance qui t'amène ? » lui demande-t-elle en penchant légèrement la tête sur la droite. Elle l'invite alors à s'asseoir à ses côtés, et lui tend une boite remplie de douceurs aux saveurs si particulières, qu'on ne trouvait pas en dehors de chez eux. « Je peux aussi te verser une tasse de thé. » propose-t-elle, sachant qu'il remarquerait aisément le thermos à portée de main. D'une certaine façon, elle était ravie de pouvoir profiter de la compagnie de Hitodama. Certes, elle avait déjà passé un long moment avec lui aujourd'hui, mais c'était différent. En dehors de l'île, elle se sentait partout étrangère. Si, lorsque les gens lui parlaient, leurs mots qui parvenaient en japonais, elle savait que sans le sort de protection, ils seraient incapables de se comprendre. Partout où se posait son regard, les bâtiments à colonnades lui rappelaient qu'elle était loin de chez elle. A tout moment, elle s'imaginait croiser des hommes et des femmes portant de longs chiton, à mille lieues des tenues traditionnelles asiatiques. Aussi, partager un moment avec un visage familier lui apparaissait comme la plus belle des bénédictions en cette fin de week-end. Les semaines à venir serait rudes, mais elle savait qu'elle avait au moins un allié à ses côtés pour les affronter.

Shishi sourit à la réflexion de Hitodama. Sa présence avait quelque chose de changé par rapport à leurs années à Mahoutokoro, sans doute le fruit des expériences et des épreuves de la vie. Elle jette un regard à la reliure des deux ouvrages en cuir qu'il pose sur la table, avant de reporter son attention vers son aîné. Il était certain que l'un allait rarement sans l'autre. C'était en tout cas son avis. Enfant, déjà, elle enviait la vie des anachorètes qui fuyaient les codes de la société afin de se consacrer à l'étude et au perfectionnement de leurs savoir. C'était une chose, pourtant, dont Shishi aurait été bien incapable. Elle était trop attachée aux siens, à la terre, au matériel, que pour se permettre pareil fantaisie, mais elle avait toujours nourri une certaine affection à l'égard de ces ermites, dont elle se sentait toujours particulièrement proche lorsqu'elle se réfugiait dans les bibliothèques. Sans répondre, elle servit à Hitodama une tasse de thé. Celle-ci dégagea aussitôt ses arômes amers, propres aux thés de chez eux. Du sencha de la meilleure des qualités, qu'elle avait obtenu auprès de sa directrice. Elle y avait mélangé quelques pétales de fleurs de cerisier, qu'elle gardait toujours avec elle, afin d'y apporter une légère note sucrée qui, elle en était sûre, plairait à Hitodama également. « Mahoutokoro ...  » répète-t-elle dans un sourire amusé. Sur cette île, en dehors des anciens alumnii, personne ne parvenait à prononcer correctement le nom de son école. Mahoutokoro... le lieu de toutes les magies. Elle ne pouvait s'empêcher de penser avec une certaine nostalgie à son ancienne école. Elle y avait passé de fabuleuses années, marquée par une insouciance propre à l'adolescence, et soutenue par des amis tels que Hitodama. « J'ai l'impression que c'était il y a un millénaire ... » poursuivit-elle en portant sa propre tasse à ses lèvres. Une autre vie, même, peut-être. De son côté, tant de choses s'étaient produites. Et à présent, elle se retrouvait sur cette île, avec son ancien camarade. Elle n'avait jamais eu aucun don pour la divination, mais c'était un tour du destin qu'elle aurait été incapable de devenir quoiqu'il en soit. Quand Hitodama la félicite sur son classement, ses joues prirent une teinte rosée. Et la réflexion sur l'éventuel sauvetage lui arracha un rire léger, de ceux qu'elle n'avait plu eu depuis trop longtemps.