L'HYMNE :

Jeudi très tôt. Très très tôt. Quiconque avait développé le même acharnement matinal que Mizuchi ne devait désormais plus être étonné de la voir ainsi installée sur le toit ou au pied de l’érable, plus généralement au bord de l’eau, pour marcher, nager, méditer. Enfant de la campagne, elle savait ce que l’aurore, la véritable, la superbe aurore voulait dire. Elle se gorgeait de l’incroyable convergence des énergies qui s’y produisait, moins puissante, mais plus pure et plus électrique qu’au crépuscule. L’aurore était le meilleur moment pour se promener dans la nature magique. On y faisait de formidables rencontres. Ce n’était pas pour rien que les pêcheurs, les cueilleurs de benibana et les impressionnistes lui consacraient l’excellence de leur art.

Comme à son habitude donc, elle quitta sa chambre avant le lever du soleil, et prit la direction cette fois-ci des vastes étangs de l’ouest. Elle avait connaissance de la présence de marais, plus loin dans cette direction, et était curieuse de découvrir le changement de paysages. Pieds nus, elle s’engagea vers l’ouest en longeant le lac, à petites foulées. Elle avait attaché ses longs cheveux en une haute queue de cheval retenue par un foulard, et avait ôté ses gants pour l’occasion. Son pas était ample et léger, démontrant son excellente condition physique, et bien vite elle disparut dans les brumes matinales.

On ne la revit paraître qu’une heure plus tard, le visage plus pâle, concentré. Elle avait enfilé par-dessus sa combinaison ajustée un large kimono beige, cintré par une obi sombre. Le soleil commençait à peine à pointer à l’horizon, il était près de 6h. Elle se dirigea d’un pas décidé vers les cuisines, où elle entra sans frapper. Détaillant du regard les quelques élèves qui s’y trouvaient pour préparer le petit déjeuner, ses yeux se posèrent sur un visage dont le dossier lui était, pour une raison ou pour une autre, familier. Mizuchi n’était pas du genre fouineuse – dixit la prof d’espionnage, croyez-le ou non, c’était la vérité. Cependant, quand elle cherchait une information, rien ne pouvait l’empêcher de la trouver. Elle salua donc la petite assemblée responsable de leurs estomacs et demanda à @Suhail d’approcher.

« Bonjour, Suhailu-kun. Navrée d’interrompre vos fourneaux, mais si vous n’avez pas d’objection, je souhaiterais vous réquisitionner pour une autre tâche ce matin. »

En réalité, cette requête n’en était pas vraiment une, et son ton ne suggérait pas la possibilité d’un refus. Pendant qu’il rassemblait ses affaires, elle se dirigea vers le garde-manger réfrigéré et farfouilla un instant, avant d’en ressortir, visiblement satisfaite. Elle demanda, pour la forme encore une fois, la permission de prendre un ou deux fruits, se servit, puis sortit de la pièce dont la chaleur l’incommodait vivement. Suhail l’attendait devant, et elle lui fit signe de la suivre à l’extérieur du bâtiment. Quand ils retrouvèrent le grand air, elle lança un des fruits à la recrue, et capta son regard interrogateur. Elle lui adressa un sourire sensé le rassurer, et prit la direction, pour la seconde fois de la journée, des lacs ouest.

« Je vous sens un peu tendu. N’ayez crainte, ce n’est pas une punition, et pas non plus une tâche trop complexe. Enfin, en théorie, tout devrait bien se passer, puisque je suis avec vous. »

Mizuchi croqua dans la pomme étonnamment juteuse, profitant de son goût et de sa texture, consciente que sa remarque puisse alarmer un peu le garçon. C’est bien, il ne devait pas croire que leur activité matinale serait une promenade de santé. En réalité, il ferait mieux de s’attendre à pire que ce qui allait vraiment lui tomber dessus, pour que son esprit soit réellement prêt à encaisser. Si elle se souvenait bien de sa lecture – et il y avait peu de chance que ce soit l’inverse – ce lever de jour risquait fort d’être instructif pour tous les deux.

« Vous devriez manger ce fruit et vous remplir un minimum l’estomac. Nous allons faire un peu d’exercice, et je ne veux pas vous ramasser à la petite cuillère. »

Si le fait de tourner le dos à l’astre qui dardait à peine ne devait pas être le plus positif des présages, il n’en tiendrait qu’à la jeune recrue de gagner l’estime de son enseignante en prouvant qu’il méritait sa place ailleurs qu’en cuisine.