Samedi après-midi – il fait trop chaud pour Mizuchi. Elle est visiblement épuisée, et disposée à ne rien faire d’autre que traîner entre les étagères de livres, un grand café glacé entre les mains. Au moins elle est levée. Depuis deux heures peut-être, mais levée tout de même.

Ses mains glissent le long du rayon botanique, s’arrêtent sur un épais volume qu’elle n’avait jamais vu avant malgré son assidue fréquentation du coin poussiéreux. Elle le tire, le feuillette, et l’embarque, satisfaite. Un instant plus tard, la voilà installée au creux d’un épais fauteuil, à tenter de déchiffrer les obscures explications données sur les effets secondaires de la belladone. Sa main droite prend des notes distraitement, mais elle n’arrive pas à se concentrer.

Au bout d’un quart d’heure, sa tête tombe sur son épaule, le café s’explose par terre, et le gros livre lui glisse des mains. Pour tomber pile sur les pieds innocents d’une pauvre recrue qui ne demandait rien. Le fracas fait sursauter Mizuchi, éjectée de son sommeil instantané. Elle se lève brutalement, complètement désorientée, et s’empresse de s’excuser auprès du jeune homme. Elle s’incline profondément, puisque visiblement, c’est un membre de sa délégation, et d’un coup de baguette, fait disparaître le café répandu sur le beau parquet de la bibliothèque.

« Excuse-moi, Ryû-san. » fait elle à demi voix avant de se redresser, confuse. Sa main se tend vers son livre, mais en relire l’intitulé lui tire un soupir. « Pas vraiment passionnant, tu en conviendras. » Elle repose l’objet, et détaille sa recrue, qu’elle ne croit pas avoir déjà rencontré dans les formes. Enfin, il doit être venu à ses cours, mais tout ce qu’elle peut dire de lui, c’est qu’il est doué pour ne pas se faire remarquer. Oh, et qu’il s’est tenu à ses côtés lundi, lors des funérailles et de son …emportement (justifié) contre Lancelot. Elle ne l’a pas remercié pour ça. Doit-elle le remercier pour ça ?

« A tout hasard, tu ne serais pas un spécialiste en botanique médicale, non ? » fait elle, un peu de dépit dans la voix mais un air franchement curieux sur le visage. Elle doit apprendre à demander de l’aide dans les domaines qui la dépassent, ça en devient franchement épuisant.

Petit bout de Mahou si poli qui lui rendait son livre. Pas une mauvaise tête non plus. Mizuchi se demandait comment elle ne lui avait pas prêté plus d’attention avant. Trop préoccupée par Hitodama, certainement. Et puis vraiment, l’attitude du jeune homme le rendait presque transparent, sans remous et sans bruit. Cela aurait dû l’interpeller d’autant plus. Elle admirait cette capacité à n’exister que par touches. A se fondre dans le décor. Bien qu’à y regarder de plus près, il ait des traits remarquables et singuliers, une attitude toute en souplesse et en précision. Vraiment, elle aurait dû le remarquer plus tôt.

Désormais tirée des brumes de l’inconscience et pardonnée par la victime de sa négligence, Mizuchi sourit à son commentaire. Brave homme. Mots choisis, incolores. Elle hocha la tête, plus pour approuver sa diplomatie que par véritable réponse à l’opinion donnée. Voilà bien un japonais, tiens. Calme, poli. Participant à l’échange sans prendre trop de place, mais en démontrant quand même un peu de bonne volonté. Mais alors il pourrait peut-être vraiment l’aider. Son attitude était adaptée : intéressée, mais pas intrusive. Stable. Bien quelque chose qui lui manquait dans ses fréquentations, tiens.

Complètement déphasée, Mizuchi avait dormi jusqu'à 22h la veille et n'avait pas retrouvé le sommeil par la suite. Elle avait donc veillé, s'était occupé de ses oiseaux, et aux alentours de 4h du matin, elle était partie nager. Le soleil n'était pas encore visible, seule une faible lueur perçait à l'horizon, annonçant l'arrivée de l'astre. Cantonnée aux lacs d'eau salée de l'île, elle avait profité de cette solitude pour se vider la tête, avant son rendez-vous avec Ryû.

Le jeune homme avait piqué son intérêt. Elle avait un faible (tout professionnel, cela va de soi, bande de gros dégueulasses) pour les recrues discrètes et raisonnables. Elles étaient généralement de celles cachant le mieux leur jeu - un jeu truffé d'atouts. Mizuchi ne se considérait pas vraiment comme une professeure : elle donnait des cours, certes, mais ne se croyait pas franchement plus savante que ceux en face d'elle. Elle n'excellait que dans son domaine. De fait, sa soif dévorante de savoir, de maîtrise, de découvertes, trouvait sur l'Esperanto un calice sans pareil.

Elle émergea de l'eau peu avant l'heure convenue - il était vraiment très tôt. Tellement que tous ceux partant en mission aujourd'hui devaient être seulement en train de se réveiller. C'était parfait, car en réalité, les plantes s'épanouissaient et révélaient leur véritable potentiel avant le lever du soleil. En particulier les plantes de leur monde. Quelque chose se produisait durant les heures d'arrêt de la photosynthèse. Comme si, cédant la place à la consommation d'énergie solaire, au travail biologique ordinaire, la place était laissée aux plus formidables phénomènes magiques. Bref, comme la plongée sous-marine, la botanique était plus bizarre, plus incroyable encore de nuit.