Moi si j'étais un homme, je serais Capitaine

C'est fini. Sur une nouvelle bordée d'insultes et de chaos. Comme parfois, Hitodama s'est montré surprenamment digne. Il s'en va. J'en suis heureuse pour lui. C'est mieux comme ça. Il n'était pas fait pour ce monde-là. Et moi ? Je me pose des milliers de questions.

Il faut dire que les temps ont changé. De nos jours c'est chacun pour soi. Ces histoires d'amour démodées n'arrivent qu'au cinéma. On devient économe.

Je range mes notes. Anonyme dans la foule, je me dirige vers l'estrade, je me garde bien de monter dessus. J'ai peur, un peu. Pour l'Impératrice qui aurait pu être abattu sur place mais que le Diable a sauvé. Pour combien de temps. Pour la Lune. Pour le Mât qui était censément responsable.

Nous sommes des rebelles par nature. Français jusqu'au bout des ongles. Et tellement seuls. Or c'est le groupe qui fait la révolution. Seul, on ne fait que des attentats. Et s'il y a une chose que les guerres modernes moldues ont montré c'est que le terrorisme ne fonctionne pas en occident.

D'une élégance rare, et plus fort que l'ébène, pour les trop mauvais temps.

Je croise son regard. Celui d'Uruz.

Je suis femme et quand on est femme, on ne dit pas ces choses là.

Alors je me tais. Je fais une Lune. Je glisse ma main dans la sienne en douceur. Je cherche ses prunelles, sans animosité, sans reproche, sans colère, sans jugement, sans même essayer de le sonder. Avec toute la douceur qu'il m'inspire. J'ai besoin de sa force. Je veux lui donner ma tendresse.

Et t'inventerai un programme à l'allure d'un soir de gala. Je suis femme et quand on est femme, ces choses là ne se font pas.

Je tire un peu sur les doigts que je tiens fermement entre les miens. Je le conduits ailleurs. Je ne sais pas où. Peu importe. On est seuls. Il y a des plantes autour de nous. Un bout de ciel. Du verre. Je lui fais signe de s'assoir. En silence. Je n'ai qu'une envie, me caler dans ses bras.

Besoin de rien envie de toi.

Moi si j'étais un homme, je serais romantique.

Elle m'emmène vers la serre. Je suis. Pourquoi la serre ? Pour être tranquilles sûrement.

Je serre sa main trop fort je crois, je vais lui faire mal.

C'est une grande fille.

Je serre un peu moins quand même.

C'est elle qui serre maintenant. Qu'est-ce qu'elle veut ? Je l'ai jamais vue si sérieuse Lamurö.

Elle a peut-être quelque chose à dire. Peut-être quelque chose à faire. Peut-être qu'elle va mal et qu'elle veut parler de Lénine - de ce qui vient de se passer. Peut-être qu'elle a vu des choses, entendu, compris.

Peut-être qu'elle veut que je lui dise - j'ai le bruit du cœur d'un autre dans les oreilles.

Il aurait dû être mort.

Elle arrête de marcher. Elle me regarde. Je crois qu'elle veut que je m'assoie.

"Son cœur battait."

Je reste debout. J'ai ses yeux dans les miens, les yeux dans les siens, la voix basse - la colère qui couve encore, qui est pas retombée, pas encore, et que les mots blancs raniment.

Sa main chaude dans la mienne qui serre trop fort.

Il reste debout. Il me serre la main fort. La première fois j'ai presque cru qu'il allait la casser puis les os ont pris une position plus confortable et surtout il a desserré alors j'ai serré moi pour lui dire qu'il pouvait. On s'arrête . On se regarde. Il ne s'assoit pas. Il a l'air tellement perdu. Doucement, sans quitter son regard, je me mets sur la pointe des pieds et puis, de ma main libre, je caresse sa joue, je remets ses cheveux dans une autre position, façon maman qui rassure.

"Si c'est le cas, c'est soit fait exprès, soit il s'assureront que ce n'est que transitoire."

J'ai beau n'avoir que mépris pour ce qu'est devenu Le Mât, je sais que s'il veut tuer, il tue. Je ne remets pas en cause ce qu'il dit sur ce coeur qui bat, c'est lui le médecin.

"Peut-être que ce n'était qu'un test pour voir si on est du genre à laisser passer ce style de décision - soit parce qu'ils veulent être surs qu'on n'accepte pas la dictature ou au contraire pour être certains qu'on leur obéit en cas de crise. Ou alors ils voulaient être surs qu'il n'y avait pas des complices cachés qui allaient tenter de le délivrer ou bien..."

Je hausse les épaules.

"J'y ai pas réfléchi et je vois déjà des tas de raison pour faire semblant de le tuer. Et s'ils voulaient le tuer pour de vrai, et bien t'en fait pas qu'au premier mouvement il y passe à nouveau."

Je suis redescendue, je me mords la lèvre.

"Dans ce cas c'est pas bon pour le Mât." Après tout c'est un grand garçon qui sait ce qu'il fait.

"Tu es...blessé ?" Uruz, malgré tout ce qu'il dit et fait, c'est pas le Mât. Il n'est pas un grand garçon. Il n'est pas obligé de l'être avec moi.

Elle parle pas tout de suite. Elle est douce, elle a peut-être pas les gestes dont j'aurais eu besoin mais elle a ceux qu'il faut. Elle me croit. Elle me calme. Elle me touche, elle est chaude et elle est tout près. Sans que j'aie vraiment réfléchi ma main libre trouve sa place dans son dos, sur sa taille, à l'endroit où on dirait qu'il y a une place exprès. Elle m'envoie pas bouler, alors tout doucement je l'attire contre moi, tête sur tête. Elle est encore plus chaude. Encore plus douce.

Et tellement intelligente.

Je sais pas si c'est volontaire qu'ils l'aient pas tué, que son cœur ait encore battu. Au fond c'est vrai, ce que j'ai dit à Bakounine : l'important, c'est qu'il tue personne d'autre, Lénine, vivant ou mort.

"C'est le seul doute que je veux bien leur laisser." je murmure dans ses cheveux. "Qu'ils aient monté une mise en scène pour... je sais même pas pourquoi."

Contrairement à d'autres, je connais le concept de besoin de connaître - je peux accepter de pas être au courant de tout, s'il y a de bonnes raisons. J'espère que c'est que ça. Que personne va essayer de me faire taire - de nous faire taire, maintenant. Peut-être que c'est elle qu'ils ont chargée de me faire taire ?

Ca voudrait dire qu'elle me surveille depuis au moins trois semaines en prévision de ce moment, c'est ridicule.

Blessé maintenant ? Quelle drôle d'idée.

"Non, ça va." je la rassure.

Bien sûr que je suis pas blessé. On m'a pas bousculé, on m'a pas lancé de sort, j'ai attrapé Raidho correctement, et il faut plus que le mépris suintant de l'autre connasse pour que je sois blessé.

"Et toi ?" Je la relâche, je l'écarte doucement pour l'examiner. "Tout va bien ?"