Une soirée normale, placée une fois de plus sous le signe de la Justice, que tu as en grande partie passé à pousser la fonte, enchaîner les tractions, exercices abdominaux et autres artifices destinés à te maintenir dans la forme de l'homme le plus sexy de tout l'Esperanto. En réalité, tu serais de ton propre point de vue à même tout à fait éligible à mister Résistance, si tant est qu'une compétition formelle soit lancée. Tu remontes aisément jusqu'au dortoir, tes entraînements quasi-nocturnes ayant duré plus longtemps que prévu, un regain de motivation. Peut-être est-ce la dégradation de l'ambiance générale qui te rend un peu plus asocial. Tu gravis les marches trois par trois, sans témoigner la moindre prudence, ta bonne étoile est toujours à te garder.

Personne alors que tu entres dans le dortoir à pas de chat, tout le monde déjà en after ou au plumard. Sauf quelqu'un qui semble avoir oublié d'éteindre la lumière de la cuisine. Tu hausses les épaules, il doit traîner une demi-bouteille de lait vital à la vie dans le réfrigérateur, tu te diriges donc vers la pièce des anti-soirées les plus mémorables, inhalation de vin chaud et pizza froides. Une silhouette, d'abord de dos, tu t'immobilises. Petit boule arrondi, silhouette menue, cheveux de jais, tu tentes de la remettre parmi les françaises. Sans succès. C'est alors qu'elle se retourne, exhibant sa barre de céréale et ses traits asiatiques. Tu hésites une fraction de seconde à l'idée de la stupefixer ou te jeter à couvert. Mais gardes tes ennemis près de toi et tes gratteurs encore plus près non ?

Tu te rends compte que tu es torse nu, sans chaussures ni chaussettes, un simple pantalon de jogging PSG sur les fesses, tu es du genre à te mettre à l'aise pendant l'exercice. Bon. Une Mahou. Elle semble attendre que tu réagisses. Une longue seconde d'attente. Une deuxième, tu la reconnais à peu près, entre le fait qu'elle ne tire pas le moindre mot et son visage de porcelaine, tu en déduits que c'est la muette. Tu te redresses un peu plus, offrant à son regard tes muscles tirés d'une couverture du magazine "Têtu", sous tes pectoraux épais, deux rangée de muscles ventraux presques parfaits, ornés d'un petit ombilic bombé. Puis, lentement, tu joints tes mains devant ton visage, paumes face à toi, auriculaires et annulaires repliés, le tout formant le signe du J.

" Hey euh... salut toi. Ce symbole, ça veut dire "Bonjour" en français, si ça t’intéresse. Qu'est-ce que tu fous ici, sans vouloir être grossier hein, tu te tapes l'Impératrice ? Un vrai queutard ce mec, ça m'travaille.

Mais euh. Nan, pas de céréales après l'exercice, ça favorise la prise de gras. Envoie une bière plutôt, si ça t'emmerde pas. Pour la récup' musculaire hein... "

En toute honnêteté, tu restes attentif, voir mêmes aux aguets. Un peu trop de morts en quelques semaines pour que tu puisses faire confiance à la première bridée qui s'introduit dans ton terre-terre. Tu pries juste pour qu'elle ne sorte pas d'un assassinat de masse de tes compatriotes.

Comme a ton habitude, tu as fais mouche, tu es du genre physionomiste comme mec, tu l'as replacé avec talent. La muette. Tu commences à te poser des questions existentielles en attrapant la bière qu'elle te tend en respectant ta demande. Les muettes sont-elles silencieuses ou peuvent-elles quand même pousser de petits cris de satisfaction ? Tu n'aurais pas trop envie de taper dans un sac de viande inanimé, ou il faudrait qu'elle griffe, morde, fasse l'hélicoptère moldave inversé, quelque chose pour contrebalancer la gêne que ça doit produire. Une première gorgée rafraichissante coule dans ta gorge, une goutte s'échappant pour rouler sur ton torse, dévaler le creux entre tes pectoraux avec ce que tu espères de la sensualité. Vous risquez vos vies ici, tout le monde l'a bien vu encore avant-hier, alors autant en profiter ? La mort proche rends la vie plus intense...

Tu fronces les sourcils avant de comprendre ce qu'elle fait, tu t'approches du feuillet griffonné. Elle a came avec Lune. Came, Cume, Come, c'est venir ou jouir ça ? Ton attention se raffermit soudainement. Une femme avec une femme hein ? Probablement ta catégorie de recherche préférée sur un site connu noir et teinté d'orange. Adoptée hein ? Encore une espèce de trip genre step-sisters qui font des trucs ensemble. Bah, si ça les amuse, les jeux de rôle... Tu parcours la seconde phrase en diagonale, essayant de comprendre l'anglais sans trop en avoir les capacités :

" Ouais ouais, j'fais souvent du sport le soir. Genre ça me maintient en forme, le rythme est assez calme ici, tu trouves pas ?"

Tu avales une autre gorgée, avant de te rapprocher innocemment d'elle. A peu près avec la subtilité des héros de manga qui plaquent leur bras sur le mur derrière leur cible/proie/petite amie. Tu baisses un peu la voix, comme si tu prenais le ton de la confidence avec elle :

" Mais du coup avec Lunette, c'est du sérieux toutes les deux, ou juste pour se marrer ? J'croyais qu'elle était avec Rideau moi...Ou vous êtes dans le délire du polyamour, un truc obscur dans ce genre ? Au fait... santé !"

Tu approches un peu ta bière de la sienne, trinquant d'un air entendu. Parce que bon, les filles qui aiment bien passer du temps ensemble, tu n'as rien contre hein, au contraire, mais dans le fond, tu sais qu'il leur manque toujours quelque chose sans un mec parmi elles. Un truc que tu peux leur fournir au besoin, grand seigneur que tu es. A moins que le mec de la blonde ne soit déjà entrain de se payer des doublés.

Quelques secondes te font tiquer dans les réactions de la muette. Soit elle essaie de traduire ce que tu lui raconte, soit elle est en pleine réflexion, ce qui n'augure rien de bon. Mais au final, elle cherche juste comment t'expliquer ses petites sauteries. Phase 1, tu restes bouche bée en déchiffrant le croquis. Tu tremblottes presque, essayant d'imaginer la scène, particulièrement plaisante si tu pouvais prendre la place du Slave, avant de repousser l'idée. Ce n'est pas possible, il n'a quand même pas la capacité de gérer deux go en cuir d'un coup ?

Phase 2, ton poing se serre, tu vides cul-sec ta bière, ton palpitant accélérant. Sérieusement ? Alors que d'autres crèvent la bouche ouverte, le mec monopolise deux filles mignonne en même temps ? C'est quoi son délire à Raidho, un complexe de supériorité qu'il essaie de sevrer ? Tu reposes la bouteille avec un claquement sec sur le plan de travail. Enculé.

Phase 3, la négociation, tu hésites, balbutiant presque :

"Ah ouais... vous êtes dans ce genre de délires, avec des jeux de rôle et tout. Non mais c'est cool hein, tant que vous vous marrez, je crois. Mais euh. Y'a quand même une part de toi qui a plutôt envie d'un truc sain, nan ? Genre sans vous mettre des baffes et vous insérer des trucs partout ?"

En réalité, c'est le genre de trucs qui te dégoûtent un peu. On est pas conçus pour se faire mal au pieu nan ; une bonne partie de jambe en l'air c'est une belle performance, une clope à la fin et la meuf qui te dit que c'était merveilleux. T'as pas l'âge pour ces trucs de dépravés, clubs libertins, fouets et partouzes au cap d’Agde. En même temps les russes et les jap', ça n'a jamais été des exemples d'esprits clairs.

Phase 4, tu tournes finalement le dos à l'asiatique. Putain. De toute façon, tu as bien compris qu'à ta place, tu n'étais pas fait pour les histoires d'amour. Tu hoches les épaules, récupérant une autre bière dans le réfrigérateur. Elles ne t'ont jamais déçues elles. Tu lances un autre sourire, cette fois-forcé, à @Mononoke, de toutes façons, les bonnes meufs c'est comme les WC, c'est toujours occupé :

"Bah, ils doivent t'attendre j'imagine, t'as pas b'soin de rester m'faire la conversation. Merci d'm'avoir prévenu hein, j'mettrais mes écouteurs du coup, pas trop envie d'être perturbé par vos... euh par ses cris à elles du coup."

Phase 5, l'acceptation. Un soupir calmé glisse de tes lèvres. Bah, c'est peut-être que ton destin n'est pas ici, mais plus tard. Et puis, t'inquiéter pour quelqu'un en mission, c'est la meilleure façon de te faire buter bêtement. Laisse les prendre des risques, restes donc fidèle à tes valeurs. Tu leur survivras tous, d'un amour vivant...