Ça lui a pris des heures. Cette soirée il l'a préparée presque toute la semaine en s'inspirant des plus grandes comédies romantiques. Serre illuminée par quelques bougies, joli châle étendu sur le sol pour s'y installer, un sac magique avec dedans tout ce qu'il faut pour un pique nique réussi. Le russe s'est même bien habillé (enfin il a mis une chemise sous sa veste de treillis) pour l'occasion. Il a calculé l'heure, pour que la lune baigne le rendez-vous de ses reflets argent. Sauf qu'il n'y a pas de lune. Ciel sombre, brouillé par quelques nuages, il fait moche et Ortiz tire la gueule.

Il tremble un peu, d'avance, avale quelques gorgées de whisky au café dans sa fiole et s'enfile clope sur clope. Elle est en retard. Peut-être qu'elle ne viendra pas, qu'elle s'est défilée, a finalement réalisé qu'elle valait mieux que ça. Il joue nerveusement avec son briquet, manque de se brûler le bout des doigts tant il angoisse. Des pas. La tête se lève, sourire fin s'étire au coin des lèvres. « Mon amour ! » Dans sa bouche ça sonne presque moqueur pourtant. « Personne t'a emmerdée pour venir ? » Parce qu'il fait tard et Bakounine est chiante.

Hésitation devant la penderie. Les vêtements ne sont pas les siens - la notion de propriété a toujours été un concept abstrait - ils sont beaux, faut les reprendre d'un sort pour la taille et la forme. Il le lui a montré avant d'aller dormir. Là, elle réfléchit aux autres conseils prodigués, ceux pour assortir les pièces. C'est le grand soir, ou peut-être tout simplement un grand soir, mais elle veut faire bonne impression. Elle opte pour le noir, ça ne se tache pas, ça fait élégant. Maquillage léger, moment de flottement, coup d'œil à l'heure... Aaaah elle est en retard.

Elle ne court pas pour une fois - son binôme de course a été arrêté d'ailleurs, ça la dégoute, il la dégoute - presse le pas quand même. Direction les serres, sans Ehwaz cette fois, juste lui et une multitude de bougies. Elle sourit, un peu gênée, presque hésitante. "Mon Idéal !"Ca paraît niais dans la bouche de la gamine, elle se rapproche d'avantage de l'infirmier, contemple les tatouages que l'on discerne entre les vêtements. Elle sait exactement combien il en a. "Non, j'ai croisé personne..." Bakounine doit être avec son soldat, elle a presque pitié pour ce dernier, presque. "Jolie chemise" finit-elle par ajouter, ne sachant pas trop quoi faire, ou se mettre, les débuts sont toujours gênants.

Il tique pas à l'appellation, pas plus que si elle lançait juste son prénom. C'est que dans sa bouche tous les mots sont chantants - charmant accent paysan que traîne toujours sa langue. Iris sombres s'illuminent toutefois, glissent surprises et ravies sur la silhouette gracile. Slave n'est pas habitué à la voir si apprêtée, ça réchauffe et pince le coeur tout à la fois, il se sent plus important, moins déplacé et esquisse une ébauche de sourire. « J'suis content que tu sois là. » Il souffle juste. Là dans sa vie, là dans les serres, là sur l'île.

Dernier point fait hésiter d'un rien. Il aimerait mieux la savoir à l'abri, pas près du feu à risquer sa vie. Un autre regard coule sur sa figure. C'est pour les enfants qu'il s'est toujours battu Ortiz, les enfants comme elle et tous les mômes de sa délégation (sauf les assassins).

Il voudrait trouver quoi dire. Quelque chose d'intelligent, d'approprié - de rassurant peut-être. Il a perdu l'habitude, ne l'a jamais eue vraiment. Ortiz il est pas de ceux qui accumulent, il adore et il admire, il chérit de loin parce que les conséquences il les connaît. Il est désolé. Elle aime bien sa chemise. Tant mieux c'était la seule. Il se sent pas bien à l'aise dedans, un peu serré, il a du mal à respirer. Ou bien c'est juste l'anxiété qui le prend en traître lui d'ordinaire si désinvolte.

Un sourire vient étirer ses lèvres, illuminer ses traits. Elle semble plus assurée d'un coup, alors même qu'Ortiz impressionne avec sa taille, sa carrure, son look de taulard un peu ours. Mais il a bon cœur, elle le sait, elle rougit à la déclaration. "Moi aussi j'suis contente." Qu'il soit là, qu'elle soit là, qu'ils soient deux. Fawkes a l'impression qu'ensemble, rien ne pourra jamais plus les atteindre. Parce que l'union - soviétique - fait la force, qu'ils veillent l'un sur l'autre, qu'Ortiz la couve de ses yeux sombres, prêt à bondir sur ceux qui lui voudraient du mal. Son héros. Elle remet le col de la chemise de l'homme bien en place, main venant frôler la joue au passage. Caresse aérienne qui a tout de l'acte manqué. Elle rougit un peu, recule de quelques pas, pose le regard sur les bougies. "T'as pas fait les choses à moitié" que la gamine souffle, impressionnée. "C'est beau..." Et romantique, la tsarine n'approuverait pas. Ca va finir en amour interdit, les russes sont forts pour ça, il suffit d'ouvrir leurs livres. Elle sourit de nouveau, regard pudiquement posé partout sauf dans les yeux d'Ortiz, pour ne pas s'y perdre.