Elle court comme une dératée dans le bâtiment principal, déterminée. Elle ne s'arrêtera pas avant de s'être assurée qu'elle n'est pas suivie. Elle court. Court. Yeux qui sont presque fous, retines qui brûlent d'une énergie folle. Coeur qui bat la chamade. Y'a des pas qui la suivent non ? Peut-être ? Ne pas s'arrêter.
Courir.
Encore courir.
Une cachette.
Elle y reste un temps certain. Souffle est court. Elle ferme ses yeux, prie pour qu'on ne l'a trouve pas. Les tempes jouent du tambour.
Personne ne la trouvera, ici.

Recroquevillée dans un coin sombre depuis près d'une demi-heure, elle délie ses muscles. C'est douloureux un peu, mais elle passe au-dessus. Semblerait qu'elle se soit calmée. Elle s'est assoupie un peu, non ? Elle sait plus trop, elle a l'esprit un peu troublé. Ca va passer.
Elle se relève, dépoussière son jeans noir, lorgne sur ses Stan Smith qui ne sont plus si blanches.
Corps s'étire lentement. Elle lorgne sur sa montre. Il est passé 18h00. Tout fait sens.

Temps s'écoule. Ca va mieux. 18h20. Ses pas l'emmènent au sous-sol, là, elle sera tranquille. Une classe est occupée. Oeil curieux observe discrètement.
Wunjo.
Ah ! Ben justement !
Il n'y a pas de hasard dans la vie. Cheveux en bataille, elle s'avance vers son collègue après avoir toqué à la porte. Esprit est toujours troublé. A pas un peu maladroits. Allure et bancale. Main est posée sur le bras de Wunjo et elle ferme les yeux. Voix est chevrotante. "Laisse-moi deux secondes, dude."
Elle reprend des couleurs. Yeux papillonnent et d'un coup, sourire reviens sur sa face. Un large sourire éclaircit le visage de la brune.

"Bon mec ! Faut qu'on cause ! " Elle retire son bras et fourre ses mains dans ses poches. "Ca te dérange si j'en grille une ? Tu veux ? "

Quelle affreuse et longue journée.
Non, elle n'avait pas été si affreuse. Mais elle avait été longue. Trop de cours, trop d'élèves dont il faut mémoriser le surnom, pas assez de café.
Pas assez de café, Wunjo veut en boire une gorgée, mais sa tasse est vide.

Il ressasse les notes qu'il a pris sur ses élèves de la journée. Il essaie de mémoriser les informations dont il est censé disposer à leur sujet, professeur qui se veut modèle, mais il n'y arrive pas. Son cerveau ne le lui permet pas. La fatigue. Elle est là, constante, elle ne s'arrête jamais. Wunjo devrait prendre du temps pour lui, mais ce n'est pas pour lui qu'il est ici.

Pique-t-il du nez face au papier ? Très certainement.
Sursaute-t-il silencieusement quand quelqu'un frappe à sa porte ? Absolument.
Il tourne la tête, voit que ce n'est que Bacchus, l'autre professeure.
Comme à son habitude, un large sourire s'étire sur son visage. Il l'aime bien Bacchus, elle est marrante. Alors il le montre.
« Bacchus ! Tu tombes bien je viens de finir ! » lance-t-il, enjoué comme il savait l'être.

Il ne la regarde pas arriver, trop occupé à ranger la paperasse sur le bureau. Elle lui touche le bras, il lève la tête.
« Est-ce que ça va ? T'as pas l'air en forme. Peut-être pouvait-il aider. Wunjo adorait aider.
- Laisse-moi deux secondes, dude.»

Wunjo termine de ranger ses affaires, quand enfin la femme reprend ses esprits.

« Bon mec ! Faut qu'on cause !
- Hm hm acquiesse-t-il, toujours souriant. Wunjo se lève de sa chaise pour ne pas laisser la demoiselle seule debout.
- Ca te dérange si j'en grille une ? Tu veux ?
- Non merci, je fume pas. Tu peux te mettre à la fenêtre s'il te plaît ? J'aime pas sentir la cigarette quand je rentre dans ma chambre. »

Et d'un coup de baguette, une fenêtre apparaît sur le mur derrière eux. Une légère brise y passe. Qu'est-ce qu'elle est bien faite, cette salle d'entraînement.

« Qu'est-ce que je peux faire pour t'aider, alors ? »

Wunjo a beau avoir l'air fatigué, Bacchus ressent sa positivité. Ce gars-là, c'est un phare dans la nuit sombre et son sourire est agréable. Sans le vouloir, il réchauffe les cœurs par sa bienveillance et c'est pour ça qu'elle apprécie le professeur. L'aura qu'il dégage est aussi agréable que la tarte aux pommes qui sort du four le dimanche après-midi, un goûter doux et familier. Rapidement, Bacchus reprend ses esprits et lui laisse un peu d'espace, se recule pour lui laisser la place. Sourire galant sur le visage, la "sorcière" lui rend une esquisse avant de lui proposer une cigarette bien méritée. Fenêtre apparaît d'un coup de baguette magique.

"Oh non, ne t'embêtes pas pour moi, je vais m'abstenir !"

Elle n'avait jamais pris le temps de remarquer s'il avait des habitudes toxicologiques, et bien agréable de constater, qu'au moins un adulte sur cette île est une hygiène de vie presque parfaite. Si elle pouvait se gaver de burgers à tous les repas, croyez moi qu'il n'y aurait pas assez de bovins sur cette terre pour la sustenter. Par ailleurs, le léger vent frais est agréable et semble calmer ses joues rosies par les efforts dernièrement effectués.

"Je ne sais pas si tu seras de mon avis, mais cet endroit à beau être monté pour faire les guerriers de demain, il semblerait qu'on en oublie une base essentielle." Elle commence son explication, marche quelques pas avant de poser une moitié de fesse sur le bureau. "Nos "bienfaiteurs" ne sont pas désignés pour instaurer une ambiance moins mortuaire... En clair, je trouve qu'on ne fait pas attention au bien-être de nos recrues et qu'on en oublie deux valeurs importantes : l'amitié et le sentiment d'appartenir à un groupe. " On est d'accord que hormis tenter de survivre chaque jour, les recrues n'ont pas vraiment d'autres activités amusantes que de s'envoyer en l'air ou d'organiser des fêtes clandestines. "Y'a un manque d'attachement certain, mon avis est qu'on tente plutôt de les diviser que d'en faire un groupe soudé. Et j'ai clairement pas envie de les emmerder plus avec mes cours pour tenter de leur faire comprendre que se serrer les coudes et être ensemble, c'est tout aussi important que de s'avoir agiter un bout de bois." Elle saute avec dynamisme du bureau et poursuit son monologue. "Du coup ! J'ai entendu parler de tes duels et tes paris, et bordel j'adore l'idée ! Tout ça m'a amenée à réfléchir sur ceci : comment être adversaires et alliés en même temps ?"

La brune qui semblait au bord du gouffre en arrivant semble animée d'une énergie nouvelle et hyperactive : "Organiser un tournoi de duel dans quelques semaines ! Y'aurait un public, de la musique, un putain de mascotte et évidemment... des pompom-girl !" Bacchus se tourne vers lui, les yeux pétillants et un air de t'en penses quoi ? sur la face.

Wunjo suivait le raisonnement de la jolie brune, sans trop comprendre où elle voulait en venir. Son sourire sur les lèvres était immobile tandis que l’on pouvait presque voir les engrenages tourner dans son cerveau.

Oui, sur cette île, peu de personnes se préoccupaient du bien-être des élèves, mais là n’était pas l’objectif de leur présence. Non pas que cela ne puisse avoir d’effets bénéfiques sur le long-terme, mais on avait surtout d’autres choses à foutre. Après-tout, ce n’était pas comme si on était au beau milieu d’une guerre mondiale qui durait depuis plus de vingt ans, qui faisait chaque jour de plus en plus de victimes. Quelle tête feraient les élèves si on venait leur dire que l’entraînement pouvait attendre, c'était l'heure de jouer au Quidditch.

Mais Wunjo laissait au moins à Bacchus le bénéfice du doute. Il l’aimait bien, Bacchus. Il la trouvait amusante, bien que parfois un peu trop intense pour ses petites habitudes de finlandais. Alors, la laisser aller jusqu’au bout de son raisonnement, aussi incongru soit-il, était une question de respect.

Et cela portait ses fruits, puisque déjà le point suivant faisait plus de sens. Il arracha même un haussement de sourcils (les deux !) et un hochement de tête de la part de Wunjo. Le sentiment d’appartenir une équipe, en effet, était crucial au bon fonctionnement d’une armée, quelle qu’elle soit. Le professeur n’avait pas le culot de se comparer à un général, mais l’esprit d’équipe avait toujours fait ses preuves. C’était se renforcer contre les menaces qu’étaient espionnages, trahisons, abandons de postes, et tant d’autres. Ici, c’était aussi former un réseau de résistants qui sauraient retomber sur leurs pattes peu importe où l’on viendrait les retrouver.

Rien qu’en présentant les prémices de son projet, Bacchus était rayonnante ; c’était une idée qui lui tenait d’ores et déjà à cœur, et cela se voyait. C’était le genre d’entrain qui faisait chaud au cœur, qui rassurait Wunjo lorsqu’il s’inquiétait d’être le seul être capable de la moindre émotion positive sur cette île.

« J’aime beaucoup l’idée ! commence Wunjo, en fin de compte assez enthousiaste. En plus, ça permettra de vraiment savoir qui sont les élèves qui ont le plus besoin de progresser. »

Wunjo était un professeur, on ne pouvait pas le lui retirer.

« Tu voudras qu’on organise ça sur un de mes créneaux ? C’est tout-à-fait possible ! continuait-il, enjoué à son tour malgré la fatigue. Par contre… je pense que les pom-pom girls et la mascotte ça risque d’être un peu difficile…. Les élèves seront sur le terrain, on n’aura que les autres professeurs pour remplir ces rôles… Wunjo les passa rapidement en revue dans sa tête. Mizuchi, elle dirait non, Lancelot, c’est mort, Ortiz, jamais de la vie, Ankaa il ne la connaissait pas assez pour oser demander. Il ne restait que Vulcain, peut-être ? Tu penses qu’ils accepteraient ? »

Wunjo était un optimiste, on ne pouvait pas le lui retirer.

« Par contre, t'as parlé de mes paris ? Je n'organise pas de paris pendant mes cours. Il y a des élèves qui organisent des paris ? »

L'idée fait son petit chemin dans le cerveau de Wunjo et Bacchus sourit encore plus fort quand celui-ci trouve l'idée Gé-nia-le.
Qui a dit que Bacchus n'avait pas de bonnes idées, hum ? Tsss.
La professeur est ravie qu'enfin quelqu'un prenne en considération son avis et approuve l'idée de solidifier le groupe et de dénouer tout ce beau merdier.
Chose pas si aisée, mais avec de petites actions, y'a surement moyen d'en faire quelque chose.

"On organise ça comme on veut ! Tes créneaux, mes créneaux... tant qu'on a le résultat escompté, qu'importe !" Bacchus éclate de rire à l'idée de voir Vulcain ou Ortiz diriger une équipe de pompom girl "T'imagines, Vulcain ou Ortiz en petit maillot de gymnastique moulant ? HAHAHAHAHA." L'arrogance du lion sera complètement éteinte, et l'infirmier aurait une bonne raison de tirer la gueule. "T'inquiètes, je vais m'en charger, parce que je crois pas qu'il verront l’intérêt de faire ce genre de trucs." et encore moins Lancelot. Peut-être Mizuchi à la limite, mais la dame a beaucoup trop de classe pour ça. "J'ai fait de la danse quand j'étais jeune, ça devrait le faire" Ok, c'était y'a longtemps, mais quand même. Bacchus est toujours aussi souple et a le rythme dans la peau.

La question des paris déroute quelque peu Bacchus. "Heuu ? Des bruits de couloir... Je pensais que c'était toi ?" Elle est bien embêtée pour le coup et n'avait pas imaginé que l'idée venait des recrues. Ou pas ? "Est-ce vraiment grave ? " Ben ouais, selon elle, y'a pire que de parier quelques douceurs et des barres de chocolat.

"Mais toi, ça va ? T'as l'air de plus en plus fatigué ?" Elle plisse les yeux, semble constater la fatigue chronique dont souffre son collègue.

« Ortiz n’acceptera pas, l’embête pas avec ça, » conseillait Wunjo. L’Ortiz qu’il connaissait n’agirait jamais de la sorte. Mais Wunjo en était venu à se demander à quoi ressemblait le reste de ses tatouages, s'il en avait vraiment partout sur le corps. Il riait tout de même avec Bacchus, parce que l’idée lui paraissait étrange, mais étrangement intéressante. Plus intéressante que si c’était Vulcain, en tout cas. Déso Vulcain.

« Non, on ne m’en a jamais parlé, de ces paris… Mais c’est dommage, c’est quand même moi qui compte les points… » répondait Wunjo, comme déçu d’être passé à côté d’une information cruciale, ou d’en avoir été volontairement tenu à l’écart. N’avait-il pas l’air de quelqu’un de sympa, abordable, pas chiant ?
« Non non, ce n’est pas grave du tout ! Mais je suis sûr qu’il y a quelque chose à en faire pour mon cours ! »
S’il y avait moyen de mettre la main sur quelque chose d’intéressant, ce serait amusant de participer. Peut-être l’occasion de voir comment ils s’y prenaient pour gérer de l’éventuelle contrebande. Était-ce au moins possible sur cette île ?

Et comme si toute cette conversation était parfaitement chorégraphiée, comme rédigée par deux êtres hors de leur monde qui s’en envoyaient leur récit à intervalles réguliers, Wunjo se mis à bailler au moment même où Bacchus souligna qu’il avait l’air fatigué.
« Merci, toi aussi, rétorqua-t-il, le sourire aux lèvres, les yeux encore humides. Pas facile de bien dormir sur cette île. Et j’ai jamais beaucoup dormi en règle générale. Mensonge éhonté de celui qui arrivait à enchaîner les siestes quand on ne le dérangeait pas. Mais ça va passer t’en fais pas pour moi. J’allais justement me chercher un café en salle des profs. Tu m’accompagnes ? » Il se mis en marche, toutes ses affaires sous le bras, la tasse vide dans la main.

« Et toi, qu’est-ce qui a bien pu t’arriver pour que tu termines dans un état pareil ? » demandait-il. Non, il n’aimait pas qu’on lui pose des questions. Oui, il faisait référence à l’essoufflement de la femme, à ses cheveux en bataille, à sa mine en général. Ses traits délicats et agréables avaient connu des jours meilleurs.

La discussion sur les paris prend fin. Peut-être que les bruits de couloir n'étaient juste que des rumeurs. Et franchement, Bacchus n'en n'avait pas grand chose à faire. Wunjo saurait retomber sur ses pattes si la situation venait à dégénérer, elle n'en doutait pas une seule seconde. La fatigue de son collègue se manifeste comme souvent en vérité. Détail qui rappelle des choses à Bacchus dont elle ne dit rien, et lui non plus manifestement.
Etrange.
Est-il mal à l'aise ? Il ment, elle le sait. Il n'a pas l'air de s'en cacher. Saïka hoche la tête, en effet, dormir paisiblement ici est compliqué. Elle comprend. Pas évident de se coucher en étant serein, en sachant qu'un mort peut être annoncé le lendemain matin.

"Un café ? Bonne idée ! "

Sourire large, et la professeur de psychologie emboîte le pas. Il sont silencieux un court moment, question qui traverse les lèvres de l'homme. Bacchus soupire, se mord la lèvre. Mentir ? Occulter la vérité ? Etre honnête ? Que faire ?
Elle hausse les épaules.
Dans les couloirs y'a trop d'oreilles indiscrètes. Alors elle se tait, mais montre du regard les élèves qui se baladent. Çà doit pas se savoir. La confidence ne doit pas être révélée ici. Heureusement que la salle des professeurs est vide. Bacchus ferme doucement la porte, le brouhaha du couloir s'éteint. Elle s'approche de la machine à café, actionne le bon programme pour faire couler deux boissons chaudes.