J'ai bien envisagé un moment de l'envoyer chier, la diablesse. Mais c'est Lamurö qui a fait la commission alors j'allais pas pourrir le messager.
Et puis comment j'aurais pu la pourrir, franchement ? Elle a dit que c'était important pour elle, ou quelque chose comme ça, alors...
Faut quand même être bien con.
J'ai même fait un crochet par les toilettes pour mettre une chemise propre et repassée. C'est ce qui se rapprochera le plus de mon trente-et-un, et ça s'arrête à la taille parce qu'en bas c'est le même jean que tous les jours, avec les mêmes baskets et un lacet toujours marqué au rouge. La seule tenue un peu habillée que j'ai embarquée c'est celle pour les enterrements et
j'espère que j'en aurai pas besoin aujourd'hui.
Le T-shirt du matin a l'odeur aigre du stress.
Devant le miroir, mon reflet est pâle, cerné et profondément désabusé. Il a des airs de Lénine.
Un bon coup d'eau froide sur la tronche et ça ira très bien. J'ai l'air pâle, cerné, désabusé
et mouillé maintenant, c'est vachement mieux. Je me sèche la figure dans le T-shirt du matin, ça lui donne un peu de couleur et ça étouffe le seul juron que je laisse sortir - manquerait plus que tout le répertoire suive et que ça soit le miroir qui finisse par trinquer.
L'idée de frapper un truc m'a remis un peu de vie dans les yeux. Bien. Allez, on récupère ses affaires et on y va.
On oublie pas de récupérer Lamurö, aussi, toute jolie comme d'habitude. Pour elle j'arrive à sortir un sourire probablement attendri, et je me surprends à lui tendre la main sans forcer.
"Parée ?"Elle pourra même prendre le bras si elle veut. Mais sérieusement. Si j'avais su qu'il y avait
encore des gens pour qui "discuter avec une fille" impliquait une rencontre avec la belle-famille... parce que si Lune et Raidho s'amusent ostensiblement à foutre mes soins en l'air en même temps que leurs jambes, Lamurö et moi on en est trèèès loin. Je sais même pas si on va vraiment au même endroit. Où qu'on aille on y va en tout cas, et visiblement ça plaît pas à madame.
Comme si ça la regardait.
***
Le chemin est trop court et trop long, comme toujours, et on finit par arriver dans l'antre du Diable. Elle a l'air presque gentille et au moins la bonne nouvelle c'est que personne a l'air d'y croire.
"Bonjour."Je hoche la tête, je la regarde dans les yeux - je suis beaucoup trop crispé. Je desserre les doigts en détournant la tête, avec un sourire d'excuse. Pauvre Lamurö, j'espère que je lui ai pas fait mal.
Allez, quand ça sera pour l'autre connasse tu seras tout seul. La pensée est bizarrement rassurante.
Par contre Raidho commence déjà ses conneries, et j'crois que si les yeux pouvaient tuer je l'aurais refroidi net. Le choix logique serait de se mettre à côté de lui, loin de la folle, et puis pour l'empêcher de faire des conneries - encore. Mais je peux pas gérer à la fois cet adversaire-là
et un allié instable - pire encore, ça pourrait être un prétexte à la fuite, le frapper lui pour pas la frapper elle. Alors Lune s'occupe de son mec, et moi de Lamurö.
Même si clairement, c'est pas celle des quatre qui risque le plus.
"L'arsenic au moins ça se soigne."La voix claque, et même si je laisse Lamurö s'asseoir en premier j'ai clairement choisi ma chaise parmi les deux qui restent : celle d'où je pourrai agir sur Raidho qu'en me levant.
Ou en lui lançant un couvert à la gueule. Qui sait, sur un bon lancer peut-être qu'elle serait contente.
Seul hic : je vais être à côté d'
elle. Tant mieux, je décide, en m'asseyant dans un élan de crânerie qui sent un peu le désespoir. Offensif, déterminé, et surtout pile à la bonne distance pour oublier la courtoisie et lui flanquer la tête dans son assiette si elle fait chier.
On y croit.
Reprendre la main. Celle de Lamurö brièvement sous la table, avant de poser les poignets sur la nappe. Maintenant, celle de la rencontre.
La table est mise, elle est belle, la cuisine est signée Mannaz. Mannaz aurait rien mis dans les plats. Est-ce que le Diable y mettrait quelque chose qui puisse nuire à ses princesses ? Rien de mortel, de ça je suis sûr - trop de conséquences derrière -, mais du Veritaserum ou des substances moldues, ça oui je m'y attends.
Et pourtant faut bien manger.
Refuser quelque chose à son hôte... Les échos s'enchaînent aussitôt :
premier signe de soumission... pacte de complicité tacite...C'est bien le moment que les cours de
@Lancelot me reviennent, tiens.
En matière de tortures aucun n'est inactif... "Merci pour l'invitation."Toujours tendu, mais je la regarde, dans les yeux, et j'ai pas encore cinquante degrés à l'ombre.
J'en attendais pas tant.
"On peut faire quelque chose pour vous ?"Dévoile-toi.