Kitsune n'avait pas dormi de la nuit, en témoignaient les cernes violacées qui ornaient son regard onyx. Elle s'était plongée dans les différents bouquins qu'elle avait pu trouver dans le dortoir sur tout ce qui lui passait par l'esprit : folklore japonais, animagie, nécromancie, tant de sujets auxquels elle ne s'était jamais réellement intéressée, trop occupée par ses propres petites guerres. Ridicules petites guerres. C'était un océan de connaissances à côté desquelles elle était passée, et qu'elle essayait à présent d'appréhender en un temps record.

Puis, le soleil s'était levé.

Un soupir agacé avait franchi la frontière de ses lèvres. Les mots de conversations eues la semaine précédentes résonnaient en elle, mettait son esprit à vif, son égo au trente-sixième dessus. Seule, elle ne pourrait pas y arriver. Mais elle n'avait pas besoin de l'être. Elle devait apprendre. Pas seulement les savoirs. Mais également les savoirs-êtres. Ceux qui lui permettraient de survivre en terrain hostile. Quittant la table de la salle commune, elle file dans sa chambre se changer rapidement. Sweat noir, pantalon de la même couleur, combat boots. Un rapide coup d'oeil dans lesquelques potions de secours qu'elle avait dans ses affaires. Une potion antidouleur qu'elle gardait pour les urgences mensuelles et qui finit dans la poche de son sweat. Rapide détour par la cuisine pour s'enfiler un café - le cinquième de la nuit. Ou le premier de la matinée. A 6h, les compteurs se remettaient-ils à zéro ?

Résolue, Kitsune quitte le dortoir et marche d'un pas rapide vers celui des Durmstrang. Elle n'y a jamais mis les pieds, n'a jamais porté le moindre intérêt pour l'école scandinaves, ni pour ses recrues. Tout ce qu'elle savait d'eux, c'était leur nom, et encore. Elle frappe contre la porte, un peu trop fort pour un début de matinée. Qu'importe. Elle n'attend pas de réponse pour rentrer, et pour énoncer un " Uruz ? " d'une voix suffisamment forte pour que l'intéressé l'entende s'il était réveillé, suffisamment basse pour ne pas éveiller le courroux des lève-tard. Le pseudonyme lui écorche la langue tandis qu'elle le prononce à l'américaine. Comment était-elle censé le prononcer sinon ? Et ne pouvaient-ils pas arrêter d'utiliser ces surnoms ridicules ? Comment faire confier sa vie à quelqu'un si on ne pouvait même pas lui confier son nom ? C'était stupide. La renarde haïssait le concept, ne s'y pliait que pour éviter les vagues inutiles. Pour l'instant, en tout cas.

Dédé:

C'est qu'il prend son temps, le scandinave, pour venir lui ouvrir. Ou alors, peut-être est-ce le manque de sommeil qui la rend particulièrement impatiente ? A moins que ce soit le fait qu'une de siennes soit morte hier ? L'un dans l'autre, qu'importe. La porte s'ouvre, et Kitsune s'engouffre sans jeter un regard à celui qui vient de lui ouvrir. Rapide tour d'horizon, la décoration n'a rien à voir avec celle des Mahoutokoro, forcément. Ni même avec celle des Reqem. En même temps, chacun essayait de se sentir chez lui sur cette île. Après un vif volte-face, elle plonge sa main dans la poche de son sweater pour en sortir la potion et la tendre à Uruz " Je t'ai apporté ça. C'est un anti-douleur. C'est ce que je prends quand j'ai mes règles. C'est pas ultra puissant, mais ça fait son taf. Je me suis dit que ça pourrait te servir ". La voix de la japonaise trahit sa fatigue bien plus que les cernes sous ses yeux. Elle aurait besoin de sommeil, mais elle avait d'autres choses à faire d'abord. Un soupir plus tard, elle cherche un endroit où s'asseoir, et finit dans un fauteuil de la salle commune, se laissant tomber lourdement. Son corps la fait souffrir à force d'avoir été penchée sur des livres, mais elle ignore la douleur. " J'ai besoin de toi. " finit-elle par reprendre en plongeant son regard dans celui du Scandinave. Uruz ... rune de protection. Energie vitale. Metal en fusion. Pseudonyme savamment choisi ? Kitsune avait envie d'en savoir davantage. Mais elle n'était pas là pour assouvir sa curiosité. Elle n'était pas là pour faire connaissance. Elle n'était même pas vraiment là pour elle, au fond. " J'étais occupée hier. Je suis arrivée après la bataille. J'ai absolument rien vu de ce qu'il s'est passé, sinon que Shishi ... non, que Mikan est morte. " et après tout, les morts n'avaient pas besoin que l'on protège leur identité. Les morts avaient besoin d'être vengés, par contre. Et si les deux japonaises n'avaient rien en commun, la renarde doutait que sa camarade ait fait quoique ce soit de préjudiciable. Monstre d'obéissance, elle n'aurait rien fait pour se mettre en danger. Pas dès la deuxième semaine, en tout cas. " Je veux aider à trouver qui a fait ça. Mais actuellement je suis complètement démunie. " L'admettre à voix haute était frustrant, mais Kitsune ne s'arrêterait pas à ça. Elle devait le reconnaître : ce qu'Uruz avait montré de sa personnalité la veille lui avait plu. La yokai était méfiante. A l'image du renard de Saint Exupéry, elle ne se laissait pas apprivoiser facilement. Mais elle ne pouvait plus continuer à se méfier du monde entier, quand le monde entier partait en couille. " Est-ce que tu accepterais de me raconter ce qui s'est passé hier ? De me dire ce dont tu te souviens, des fois que ça m'évoquerait quelque chose ? " Il n'avait aucune raison d'accepter. Et très franchement, s'il refuserait, Kitsune ne lui en tiendrait pas rigueur. Si les rôles étaient inversés, c'est probablement ce qu'elle ferait. Mais après tout ... ils avaient besoin d'alliés sur cette foutue île, surtout si quelqu'un cherchait réellement à les éliminer un par un.

Par chance, Uruz ne discute pas. Ne tergiverse pas. Il va droit au but. Et tandis qu'il se lance dans son récit, Kitsune actionne BeBop dans sa poche, activant l'enregistrement. Son but n'était pas de mettre Uruz en défaut, loin de là. Simplement, elle n'avait pas assez confiance en sa mémoire et ses facultés de concentration après une nuit blanche. Mieux valait l'assistance d'un outil technologique.

Bien sûr, le scandinave n'avait pas tout vu. C'était normal, surtout s'il n'était pas au coeur de l'action. Un médic était rarement aux premières loges. Il lui dresse un tableau de la scène, que Kitsune peine à imaginer. Elle se rendra sur place, à un moment donné. Avant les funérailles, si possible. Mais le timing lui semblait serré. Un sourcil haussé lorsque le Durmstrang mentionne un rocher volant. On était sûr qu'il n'avait pas pris de drogue ? Non, clairement, ça n'avait pas l'air d'être son genre. Puis, Mikan était une sorcière expérimentée. Une combattante également. Si c'était à sa magie qu'elle avait eu recours, elle aurait pu s'en sortir avec des moyens pour le moins inventifs. Surprenant, donc, mais pas impossible. Le gros caillou fut donc suivi de petits cailloux, façon plaie d'Egypte. Kitsune grimace. Finalement, elle était bien contente de ne pas avoir été là. Même si elle regrettait de ne pas avoir d'enregistrement vidéo de la scène. A méditer. Mention pour le sort japonais. Quelque chose qui continuait à l'intriguer, encore plus depuis qu'elle s'était plongée dans un ouvrage sur les yokai, durant la nuit.

Puis, la fin de la scène. Celle dont Kitsune avait aperçu quelques images. Disparition de l'animal vers la forêt. Expédition à mener, oui, très certainement. Mais ce n'était pas Kitsune qui allait s'y coller. Pas sans préparation en tout cas. Dans son esprit fatigué, divers rouages s'actionnaient tandis qu'elle hôchait la tête. Expression dubitative lorsque le scandinave mentionne deux Shishi. Brève image d'un temple japonais, flanqué de ses deux komainu. La japonaise gardait-elle quelque chose ? Si c'était le cas, Hitodama n'était pas au courant, ou n'avait pas jugé utile d'en parler, mais en l'occurence Kitsune penchait pour la première solution ... après tout, il avait bien évoqué leur moyen de communication.

Sourire mi-fatigué mi amusé tandis que le scandinave bute sur leur nom. "Aux autres asiatiques, ça passe aussi tu sais, je le prendrai pas mal" réplique-t-elle doucement avant de secouer la tête. "Hitodama était le seul autre Mahoutokoro sur place. D'une part, il n'est pas en état de répondre à des questions pour l'instant, d'autre part nos rapports sont ... tendus, disons."