La cible de Mizuchi était un homme bourru, et en croisant son regard elle comprit pourquoi il travaillait avec les créatures magiques. Il ne semblait pas briller par une vive intelligence, ou par sa sophistication. Le regard qu'il posa sur elle lui donna un frisson dégoûté, mais elle ne broncha pas. Elle accepta la flamme sans commentaire, tira une latte avec délectation, et le remercia dans un sourire.

Son commentaire lui fit hausser la sourcils, elle espérait avoir mal compris. Pouvait-il vraiment la prendre pour une prostituée ? Elle ne s'en offensait pas spécialement, c'était un métier admirable, mais vraiment, elle ne se croyait pas si suggestive. Quoi qu'il en soit, quand elle essaya de lui faire timidement comprendre qu'elle ne suivait pas très bien où il venait en venir, il ne sembla pas la comprendre. Alors elle se dit qu'elle ne perdait rien à le suivre, histoire de trouver quelqu'un pour traduire dans le lot, et de repérer son stand. Après tout, elle ne portait pas l'insigne de l'entreprise de balai, elle pouvait faire ce qu'elle voulait.

Décidant qu'il était trop risqué de communiquer avec les autres maintenant, elle emboita le pas de l'éleveur, toujours très coréenne, très polie, bien à sa place. Elle emporta avec elle une des mokas de café et un plateau, puis s'engouffra à sa suite dans la foule dense du Village.

Prenant garde à rester à quelques pas derrière l'ouzbek, elle ne perdit pas une miette du spectacle des étalages. Elle essaya d'enregistrer un maximum d'informations, faisant appel à sa mémoire et à sa formation, mais il y avait un monde fou. Seul un événement la marqua : un feu follet roux et riche lui réquisitionnant une tasse de café de son beau plateau. Mizuchi la laissa se servir sans un mot, non seulement car c'était son travail, mais aussi parce que la jeune femme était leur fameuse princesse à protéger. Elle disparut aussi vite qu'elle était apparue, mais son intervention avait suffit à la séparer un instant de l'éleveur.

Profitant de ce délai, elle tira le petit miroir de poche qui lui servait d'outil de communication, et posant son plateau sur une table haute, elle fit mine de vérifier son teint, et fit vibrer doucement le poudrier pour qu'il attire l'attention des autres. Elle n'avait que peu de temps : elle espérait qu'au moins une personne la recevrait. Un petit sourire coquet aux lèvres, elle offrit au miroir plusieurs angles de son visage, et lui parla très normalement, bien qu'à bas volume.

"Minnie shoppe au village, Trags avec moi, lali lalala ..." chantonna-t-elle sur un air de kpop, puis elle retourna rapidement le miroir pour donner un aperçu du coin, avant de le refermer. Elle n'attendait pas de réponse, mais remit le poudrier dans son décolleté où elle sentirait une éventuelle tentative de communication. Puis elle rejoignit l'éleveur, quelques secondes plus tard, juste à temps pour le voir incendier un éleveur concurrent en face. Elle s'inclina plusieurs fois pour s'excuser, et rejoignit son stand avec lui, l'air un peu perdu. Elle s'adressa à un employé du stand en anglais en espérant qu'il la comprenne.

"Monsieur voulait que je le suive. Je n'ai pas compris pourquoi. Était-ce pour me montrer son Abraxan ?" fit-elle toute ingénue, désignant l'animal avec des étoiles dans les yeux. Avec un peu de chances, elle aurait un interlocuteur valable ici, sinon, elle le planterait là et irait voir du côté de l'autre éleveur, qui ne pouvait être autre que le rival dont le dossier parlait. Anti-rébellion ou opportuniste, probablement. Elle n'aurait qu'à lui demander à voir son Abraxan, à lui aussi - peut-être que c'était une formule universelle pour se mettre les fermiers dans la poche.

Spoiler:

Mizuchi écouta tranquillement l'assistant bredouiller des explications, puis hocha la tête, une nouvelle lueur dans les yeux. Elle commençait à trouver ça franchement plus intéressant que prévu.

« Je suis très chère vous savez. On m'a déjà réservée pour la majorité de la journée. Mais vous avez ici de jolies créatures ... » fit-elle en penchant la tête et en détaillant le stand exotique. Elle flatta l'encolure immaculée de Billy l'abraxan d'une main experte, appréciant ses lignes puissantes. Elle offrit par la même occasion son meilleur profil au jeune homme, qu'elle sentait troublé et dont elle espérait bien tirer parti. « Je peux rester une heure, et en échange, je ne demanderai qu'un petit geste commercial sur un de vos animaux... »

La coréenne n'avait pas prévu de faire des emplettes si tôt dans la journée, mais une occasion en or comme celle-ci ne pouvait décemment pas être ignorée. Et puis, il fallait qu'elle fasse comprendre qu'elle présentait un autre intérêt que celui de simple prestataire louable. Elle avait de l'argent, et n'hésiterait pas à s'en servir.

Le dragon qui creva le ciel, quelques instants plus tard, l'arracha à sa contemplation. Elle le suivit des yeux, pensive, puis admira comme les autres son vol à travers le congrès, jusqu'à sa disparition dans l'amphithéâtre. Le village se vida de ses touristes pour aller saluer l'arrivée tonitruante, mais Mizuchi ne bougea pas. Elle voyait là un excellent moyen de s'entretenir discrètement avec sa cible. Elle se rappela à l'attention de l'assistant d'un joli sourire poli, et se pencha un peu sur lui, puisqu'elle le dépassait d'au moins une tête sur ses talons d'hôtesse.

« Si cela convient à monsieur votre boss, je prendrai mon poste dès le retour de la foule. » fit-elle, rayonnante d'assurance. « Vous ne le regretterez pas, je vaux mon prix. Expliquez-lui, s'il vous plaît. » Mizuchi voulait l'entendre parler au patron, et s'assurer qu'il ne déforme pas ses propos. Bien pratique ce sortilège de traduction, il fallait le dire.

Elle espérait que le fameux boss lui accordât cinq minutes de sa précieuse attention avant de retourner à ses scrouts à pétard, parce qu'elle comptait bien lui faire comprendre en toute intimité qu'elle n'était pas bonne qu'à attirer du gros poisson. Service complet et luxueux, et pouvait aussi le débarrasser des requins qui tournaient autour de son commerce. Il suffisait qu'il sache lui aussi reconnaître une bonne occasion quand il en voyait un, et qu'il soit bien conscient de la place de son intérêt, dans ce congrès qui lui était hostile.