Kitsune s'emmerdait. Pire, elle s'emmerdait comme un rat mort. Etalée sur son lit, elle fixait le plafond en faisant des bruits de bouche. Hitodama était sans doute quelque part à se bourrer la gueule. Aonyobo avait disparu du dortoir. Mizuchi devait être occupée et Shishi ... Pour être parfaitement proche, Kitsune était incapable de dire si Shishi était là ou non, mais sa compatriote était si discrète qu'elle ne comptait de toute façon pas. Bref, on lui avait menti. On lui avait promis une aventure dans laquelle elle allait faire le plein d'adrénaline, et à la place, la japonaise hésitait à se faire un thé pour passer le temps.

Lasse de ne rien faire, elle se leva. Toujours plus ou moins persuadée d'être seule dans le dortoir, elle se rendit au rez-de-chaussée, où se trouvait la petite cuisine. Il y avait là une impressionnante collection de thé, sans doute apportées par les adeptes du zen qui semblaient légion. Kitsune, elle, s'y connaissait davantage en saké. Chacun son domaine. Ses yeux parcoururent rapidement les kanji sur les paquets, avant qu'une lumière à travers la fenêtre n'attire son attention. Oh. Quelqu'un venait d'allumer une lampe chez les Reqem. Une étincelle jaillit dans son esprit engourdi. Ni une ni deux, elle se précipita en direction de la vie. Après tout, eux aussi avaient du thé. P'têt même qu'il serait meilleurs que les espèces de trucs amers de l'autre rabat-joie. Arrivée devant la porte, Kitsune frappe frénétiquement, tentant d'ignorer la brise de soirée. Pourvu que quelqu'un vienne ouvrir rapidement ; c'est que sa nuisette de dentelle noire était loin de suffire pour la préserver du froid à cette heure de la journée.

L'homme qui lui ouvre est grand. Si grand qu'elle est obligée de lever les yeux vers lui, laissant traîner ses iris sombres sur sa silhouette, en jugeant et en appréciant ce qu'elle voyait. En imprimant l'image dans son esprit, des fois que ça lui servirait. Lorsque, enfin, elle arrive au niveau de son visage, un sourire en coin élit domicile sur ses lèvres. C'est qu'elle reconnait aussitôt le Reqem de la mission confiance. Il avait déjà attiré son attention lors de ce fameux dimanche, et elle n'était pas mécontente de retomber dessus en cette fraîche soirée. Surtout vu l'accoutrement dans lequel elle était. Et apparemment, il avait bonne mémoire. En même temps, elle était numéro un. S'il était malin, il devait au moins avoir une petite idée du classement. Même si certains se moquaient de ce dernier. Dans tous les cas, elle avait l'intention de faire en sorte qu'il ne l'oublie pas de si tôt.

Bien sûr, elle ne s'attendait pas à ce que le premier réflexe du Reqem soit de lui passer un foulard pour qu'elle se couvre. C'était quoi le problème des hommes sur cet ile ? Elle, elle voulait simplement passer un peu de bon temps entre deux missions aux relatifs degrés de dangerosité. Une légère moue, elle roule des yeux avant de passer le châle autour de ses épaules. C'était tout de suite beaucoup moins amusant. Mais elle le suit à l'intérieur sans rien répondre. Après tout, il ne lui a encore rien demandé. Alors, certes, on pourrait débattre du fait que c'était elle qui avait débarqué, mais rien ne l'empêchait de marshmallow un peu le mystère autour de sa venue. D'autant plus que cette dernière n'avait pour origine que l'ennui profond dont elle était la pauvre victime.

Une fois dans le dortoir, ses yeux se promènent sur la décoration. Au moins, ils avaient bon goût ici. Etait-ce le fait de Saïph, qui choisissait sa déco avec autant de soin que ses recrues ? A investiguer. En attendant, Suhail s'affaire, se comporte en hôte idéal. My, my. Avec un peu de chance, il était célibataire ? Et aimait les femmes, ça peut aider, bien sûr. Bref, assez de mystère, Kitsune se glisse aux cotés de l'égyptien, l'effleurant, avant de saisir une pâtisserie entre ses doigts fins et de la porter à ses lèvres. « Tu as anticipé mes besoins, il semblerait » minaude-t-elle en passant sa langue sur ses lèvres, y effaçant les quelques traces de miel qu'il pouvait y subsister de la pâtisserie engloutie. « Je m'ennuyais, et il n'y avait personne au dortoir pour me tenir compagnie » complète-t-elle dans un haussement d'épaules nonchalant, causant au bord du foulard de retomber lâchement le long de son bras gauche. Elle ne s'en préoccupe pas davantage, tandis qu'elle prend une expression pensive « Enfin, peut-être que Shishi était là ... honnêtement, je n'arrive jamais à savoir si elle est là ou non. » Sans trop s'attarder sur la question, Kitsune prend place en face de Suhail, savourant le fait de profiter d'une vraie chaise - un confort que les japonais devraient penser à adopter, ffs. « Puis j'ai vu la lumière ici, et je me suis dit que j'allais venir dire bonjour et goûter votre thé. » Et leurs pâtisseries, ce qui n'était pas prévu, mais Dieu, qu'elles étaient bonnes. Dans un sourire faussement désolée, elle lève néanmoins les mains paumes vers le ciel « Désolée, je n'ai rien apporté avec moi. Sens-toi libre de venir boire le thé chez nous quand tu le souhaiteras. Mais pense à frapper avant de rentrer, cette fois. » Un clin d'oeil complice avant de prendre une tasse de thé. L'odeur de menthe envahit ses narines, et elle se félicite d'avoir eu l'idée de venir en boire ici. C'est alors que les livres éparpillés sur la table attirent son attention. « Quelle recrue studieuse ... qu'est-ce que tu lis ? »

Kitsune est habituée à la présence des autres. Elle est habituée à leurs regards, qu’ils soit envieux, désireux, ou remplis d’animosité. Elle est habituée à la convoitise des hommes, et en a si souvent joué que c’était devenu naturel chez la jeune-femme. Pour le meilleur, et pour le pire. De la même manière, elle était habituée à ce que la touche, à ce qu’on l’effleure, ne serait-ce que pour attirer son attention. Ce à quoi elle n’était pas habituée, en revanche, c’était aux gestes doux et désintéressés. De ceux qui recouvrent une épaule d’une étole sans gêne dans le regard. Juste pour la beauté du geste. Surpris, ses traits se figent un bref instant. Si court, qu’il est presque imperceptible. Puis, elle redevient l’exubérante asiatique que l’on aime détester. Cela dit, ça n’a pas l’air de déranger l’astre. Il répond avec une certaine forme de chaleur dans la voix. Ca la change, la renarde. Elle apprécie. Elle ne hausse plus les épaules, ceci dit, resserrant autour d’elle le foulard aux chatoyantes couleurs. « Je ne sais pas … mais je ne suis pas certaine d’être dérangée par cette éventualité ». S’il y avait eu du monde dans son dortoir, elle n’aurait probablement pas pris la peine de traverser la distance qui la séparait des Reqem. Or, jusqu’à présent, elle était ravie de sa décision. Aussi ignore-t-elle la réflexion sur sa camarade nippone. Elle n’était pas là pour parler d’autres femmes. Pas que sa présence soit justifiée, ses objectifs restaient à définir, mais celui-là était d’emblée écartée.

La jeune-femme ne put retenir un rire doux et léger quand il l’interrogea sur ce qui risquait d’arriver s’il ne frappait pas. La réalité n’était sans doute pas aussi agréable. Les japonais étaient méfiants de nature. Un trait que Kitsune partageait avec ses semblables, un peu malgré elle. Comment ne pas l’être, compte tenu du contexte ? Aonyobo, par ailleurs, n’apprécierait sans doute pas que soient invités d’autres étudiants. Mais à force de se la jouer solo, les Mahoutokoro finiraient par risquer leurs jolies fesses, et c’était un risque que Kit n’était pas prête à prendre. « Ça dépend … qu’est-ce que tu préfères ? Je ne suis pas contre les habits plus conventionnels … à l’occasion ».

Les mots qui suivent sont autrement moins intéressants. Elle avait vaguement souvenir de Sasumed… Elle avait cependant beaucoup de mal à imaginer son compatriote s’occuper d’une plante. Aussi adresse-t-elle un sourire compatissant au Reqem « Tu m’as perdue à botanique, mais bon courage. Et si je peux aider, n’hésite pas. Je suis nulle en plantes, mais je peux casser les pieds à Hitodama pour qu’il passe au moins de temps en temps. » Air mutin sur le visage, elle se voit d’ici harceler le japonais pour venir rendre visite à sa plante adoptive. Elle l’accompagnerait d’ailleurs volontiers, même s’il valait mieux pas qu’elle approche le végétal. Elle avait des mains et des doigts parfaitement manucurées, elle les gardait éloigné de la terre.

L’étoile se lève pour ranger l’ouvrage, et le regard de la nippone se perd sur la zone postérieure de son anatomie. Une moue ennuyée lorsqu’elle réalise que le pull de l’homme recouvre tout ce qu’il y a d’intéressant. Meh. Peut-être y aura-t-il d’autres occasions. Après tout, ça se crée une occasion. Elle l’imite quand il revient et se sert une patisserie, alors qu’elle savoure également le thé à la menthe. Dieu, que c’était bon. Elle manque ceci dit de s’étrangler à sa dernière phrase et éclate d’un rire qui se répercute contre les murs. Si c’était fait exprès, c’était drôlement joué « Oh, je n’en doute pas. » D’une manière générale, Kitsune n’était pas très difficile à combler, mais c’était aller un peu vite en besogne tout de même. « Et sinon … je ne sais pas … tu bois de l’alcool ? voir si j’élimine les jeux à boire. Et sinon … il parait que je suis impitoyable au poker, tu sais jouer ? Ce pourrait être amusant. »

Kitsune était déstabilisée ; elle ignorait sur quel pied danser, et c’était suffisamment rare pour être souligné. Suhail était si calme … Ses allusions ne semblaient avoir autant effet sur lui et c’était pour le moins surprenant. D’ordinaire, des joues s’empourpraient, des mots précipités se mélangeaient, ou au contraire des egos se froissaient. Ici, rien, à partir un sourire qui se voulait détendu et chaleureux. Pourtant, à ses mots concernant Hitodama, la couleur est claire : il n’est pas homme à se faire emmerder. Le sourire de Kitsune s’élargit. Il l’intrigue. Elle aimerait en savoir plus. Comprendre quel genre d’étrange personne se tient devant elle. Tantôt feu ardent, tantôt eau calme … était-il réellement celui qu’il prétendait être ce soir ? Le regard de Kitsune intercepte le mouvement inconscient de sa main sur son bras gauche. Elle brûle de percer le mystère.

Les rires se mêlent en une symphonie cristalline, et Suhail parle de confiance. Kitsune ne relève pas. Comment le pourrait-elle sans mentir ? Elle n’a confiance en personne. C’était sans doute le lot de ceux qui ont le coeur brisé. La confiance bâtie s’est effondrée jadis, et jamais ne fut reconstruite. Elle pourrait se faire confiance à elle-même mais … en était-elle digne ? Elle était la première en douter. Et certainement pas la seule, elle le savait.

Doucement, la renarde secoue la tête, sans se départir d’un sourire « Ne t’excuse pas, je ne mourrai pas pour cause de sobriété. Et puis, ton thé suffit à mon ravissement, pour l’instant. » Toujours cette espièglerie dans la voix, pour masquer une sincérité qui ne lui ressemble pas. Qui ne ressemble en tout cas pas à cette image qu’elle dégage, qu’elle revendique. Et quand se pose la question du jeu réapparait le monstre d’orgueil et d’arrogance qu’elle peut être. La poitrine se gonfle, et le sourire se veut presque carnassier tandis que l’arabe distribue les cartes. Elle aime gagner. Quand bien même elle a menti sur à quel point elle était douée. De toute façon, généralement, elle était trop ivre pour jouer correctement. Cela n’empêche pas l’astre de pimenter la chose, de mettre un enjeu. Effectivement, elle ne l’imaginait pas se prêter à un strip-poker. Et puis, Kitsune partirait perdante. Elle n’était pas très habillée pour commencer. « Je suis pour. Après tout, c’est une façon comme une autre de se mettre à nu » et d’une manière géénrale, Kitsune n’avait rien à cacher. Enfin, c’était ce qu’elle aimait faire croire. C’était sa façon de protéger ce qui était le plus précieux à ses yeux.

Cartes distribuées, Kitsune grimace. Puis, Suhail dépose ses cartes, et la nippone éclate de rire. Elle a eu chaud, et gagne sans honneur « on dirait que le niveau vole haut mais … je suppose qu’il n’y a pas de petite victoire alors … » elle marque une pause, et son regard se met à briller d’une lueur vive tandis qu'elle se perd dans ses yeux sombres. Une foule de questions se bousculent dans son esprit tordu. Est-il de ces hommes fragiles qu’il faut ménager ? Il n’en a pas l’air. Mais d’un autre côté … Pour une fois, Kitsune n’a pas envie de jouer pour le plaisir du jeu. Elle a envie de passer outre les apparences. Elle veut savoir. Savoir ce qui se cache derrière cet air calme et serein. Connaître ses secrets, ses véritables secrets. «  Quelle est la chose la plus précieuse à tes yeux ? » les mots quittent ses lèvres sans qu’elle ne les contrôle. Elle ne les regrette pas. Après tout, avec un peu de chance, elle aura toute la nuit pour l’interroger.

Spoiler:

L’alcool se fera vite rare. Kitsune grimace. Il a raison, le Reqem. Peut-être qu’elle devrait se mettre à l’abstinence tiens. Si c’est par choix, ce sera sans doute moins dur. Bien sûr, elle comptait sur ses camarades pour faire preuve d’ingéniosité. Néanmoins, l’alcool frelaté, très peu pour elle. C’est qu’elle avait un palais délicat, qui ne tolérait que la qualité. Et puis, il allait falloir des gens sobres pour soigner ceux qui se seront foutus en l’air pour oublier. On ne vise personne, bien entendu. « Penses-tu vraiment qu’ils seraient si sévères si tu venais à une pauvre Mahoutokoro sans défense ? » elle joint sa question d’une moue faussement innocente. La numéro un, sans défense. Bien sûr. Quoique, elle n’était sans doute pas la mieux armée de l’île. Mais elle avait d’autres atouts à faire valoir.

« Si ça peut te rassurer, moi je les aime bien tes cartes » le raille-t-elle dans un sourire, alors qu’elle s’apprête à le questionner. L’éclair de surprise qu’elle croit identifier dans les prunelles sombres la ravit, et Kitsune s’accoude sur la table pour poser son menton sur ses mains, observant chaque muscle de son visage réagir et réfléchir. Il prend son temps, et la jeune-femme en profite pour le détailler du regard, passe en revue ses épaisses boucles noires, ses immenses yeux bruns, son nez aquilin. Elle s’attarde un instant sur la boucle d’oreille qui orne son oreille, s’interrogeant un bref instant sur ce que cela dit de lui, mais voilà qu’il répond.



A nouveau, il perd, et la légèreté reprend le pas. D’autant que le Reqem se dévêtit, abandonnant son pull et … attend. Il porte un tshirt en plus ? Kitsune hausse un sourcil amusé « Tu ne serais pas un peu frileux par hasard ? » avant de lui faire signe de ne pas se taire « Ce n’est pas ma question. D’ailleurs ma question … » elle passe rapidement sa langue sur ses lèvres pour les humidifier, regardant en l’air en quête d’inspiration. Elle veut continuer dans cette direction. En apprendre davantage sur ce qui l’anime … ce qui l’effraie également. « Quelle est ta plus grande peur ? » Allait-il avoir suffisamment confiance pour répondre ? Ou suffisamment d’assurance pour mentir de manière éhontée ?