Il y avait quelque chose d’extraordinaire dans cette bibliothèque. En cherchant bien sous ses arches, on était à peu près certain de trouver un ouvrage se rapprochant du sujet recherché. Ça pouvait n’être qu’un pur hasard, Vulcain en était conscient, et il connaissait le pouvoir du hasard, mais il avait mis sa théorie à l’épreuve plusieurs fois, en listant dans son bureau les sujets les plus variés et farfelus possible. S’il n’avait rien trouvé qui traitait de la sociologie des écureuils en période de rut, il s’était résigné en se disant qu’il avait mal cherché, ou qu’on avait choisi d’écarter tout de même certains ouvrages qui abordaient des thématiques à priori peu utiles à une jeunesse résistante.

C’était un beau début de matinée sur la Cité, et n’ayant rien de particulier à faire à part déplacer des piles de bordel dans son bureau, Vulcain avait décidé de passer un peu de temps à se cultiver. Un traité sur l’herboristerie et deux manuels de médicomagie sur les bras, il n’avait pas tardé à se trouver une place. La salle était quasiment vide à cette heure, mais un jeune homme était plongé dans ce qui semblait être de la lecture, un peu en retrait. Probablement qu’il avait pas envie qu’on vienne le faire chier. Tant pis. Vulcain savait qu’il pourrait peut-être l’aider, et c’était important, bien au-delà de quelques humeurs passagères. Et puis, ils n’avaient pas eu tellement l’occasion de causer jusque là.

Livres qui se posent sans douceur et font trembler la table sous leur poids. « Uruz, c’est ça ? Belle mâtinée, n’est-ce pas ? Une vraie chance. » L’enseignant tire une chaise pour s’installer en face de lui, et étend ses jambes sur le côté, mains derrière la nuque. « Dis moi, t’as mangé quoi ce matin ? J’me suis gavé d’œufs brouillés, mais j’suis un peu barbouillé, mais toi tu as l’air en forme. » Petit silence, il plisse les yeux d’un air inquisiteur. « Tu manges au moins, rassure moi ? C’est important. » Main qui se pose sur le traité d’herboristerie, l’ouvrage glisse jusqu’à lui et s’ouvre dans un claquement. Soupir satisfait, c’est joli au moins. « Se nourrir le corps et l’esprit. » Se plonge finalement dans les croquis. Le Durmstrang parlera s’il a envie de parler. Dans le cas contraire, il pourra revenir à la charge plus tard.

Les derniers jours m'ont beaucoup trop fait réfléchir. Je veux pouvoir faire plus. Ca peut pas continuer comme ça. Plus, plus, plus, toujours plus, et les mots d'un frère en esprit pour me rappeler que parfois plus c'est trop.

Je sais plus où j'habite. Je sais juste que je veux pas me satisfaire de si peu. Je peux pas. Je peux plus. J'ai connu des groupes, j'ai connu des trahisons, j'ai connu trop de choses qu'un gamin à peine sorti de son école aurait jamais dû connaître - mais jamais à une telle échelle, jamais si vite.

Jamais.

Et à ça s'ajoute encore autre chose. Comme à la veille de chaque mission, je suis un peu... fatigué. Fatigué de réfléchir, de prévoir, de regarder tout le monde comme si c'était la dernière fois.

C'est même pas moi qui pars.

On s'est mis d'accord, avec Ortiz. Il vaut mieux qu'il y ait toujours un médic à l'infirmerie, et lui il part. J'aurais pu lui dire des tas de choses, j'aurais peut-être dû.

Je lui ai juste dit de faire gaffe à son cul.

Je comprends le besoin d'adrénaline, de bouger, de vivre. Mais s'il est pas en état, qu'il y va quand même, et qu'il se fait choper par le premier débile qui passe...

Il sait ce qu'il fait. Ca ira.

Cette fois, c'est moi qui reste en arrière, et la fois d'après ça sera lui. C'est aussi simple que ça.

Avec un nouveau soupir, je retourne à mon bouquin.

Aujourd'hui, je me suis levé plus tôt que d'habitude. J'ai fait mon sport plus tôt que d'habitude. J'aurais peut-être pas dû, je réalise. Lamurö aurait sûrement aimé mater un peu. Elle aussi elle part en mission demain. Mais ça ira, puisqu'elle est avec Ortiz.

Et moi je bouquine au lieu de faire quelque chose de plus utile, comme par exemple le trentième inventaire des potions de l'infirmerie, le dépouillage d'un recueil de galdrastafir que j'ai trouvé et que je vais probablement finir par digérer tellement il est intéressant, ou alors la douzième tentative de lecture du traité sur les blessures par manticores, toutes les précédentes abandonnées systématiquement à la page deux.

Tellement de choses que j'ai jamais affrontées dans le Nord. Comment savoir sur quoi ils vont tomber cette fois-ci, les dix ou douze qui y vont pendant que je reste ici ? J'aime pas rester à l'arrière.

Ma lecture du moment est moins... immédiatement utile. Mais plus tard... plus tard qui sait, elle pourra peut-être sauver des vies elle aussi.

Dédé:

Pourtant j'arrive pas à me concentrer dessus. C'est trop technique pour les connaissances que j'en ai. Je devrais chercher quelque chose de moins avancé peut-être, mais j'ai pas l'impression qu'il y ait beaucoup de bouquins pas techniques sur ce genre de sujets, en fait.

Alors quand Vulcain se pointe avec une pile de bouquins, ses questions rhétoriques et le paternalisme un peu louche d'un type à peine plus vieux que moi, je claque la couverture avec un regard blasé et une réponse de la même eau.

"Je suis médic."

Comme si ça expliquait tout.

Comme si, en effet, il me manquait pas un peu de viande ici et là, et comme si j'avais aucun cerne sur la gueule pour creuser mes yeux.

Comme si c'était important.

"J'peux faire quelque chose pour vous ?"

Herboristerie et médicomagie...

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Visiblement, le Durmstrang a pas trop envie de causer. Neuf mots, qu’il parvient à articuler, politesse de surface qui veut dire : ‘casse toi, tu me fais chier’. Il hoche la tête Vulcain, et sourit un peu moins fort. « Pardon, je ne voulais pas déranger. » Est ce que le scandinave peut faire quelque chose pour lui ? S’il est médic, peut-être. Est-il disposé à le faire ? Pour un enseignant, peut-être, mais pas par envie. Il s’appelle comment du coup, médic ? Ou Uruz ? Pas très clair. Un vrai souci quand on se contente d’aussi peu, le manque de clarté. « Nan, je vais pas abuser de mon statut pour te demander un service, j’aime pas ça. »

Il hausse les épaules et reporte son attention sur son bouquin. « On se fait vite chier ici et j’aime bien les gens, c’est tout. Mais je comprends que ce soit pas le cas de tout le monde. » Légèreté dans sa voix comme si rien ne s’était passé malgré tout depuis leur arrivée. Comme si Shishi n’avait pas été retrouvée morte et qu’on avait échappé de peu à d’autres cadavres. Il était même pas là ce jour là, n’avait appris la nouvelle qu’après coup. « Mais ça avait l’air d’être compliqué tes histoires, peut-être que je peux t’aider pour me faire pardonner d’avoir le verbe trop facile. Ou alors je t’emmerde vraiment et tu veux pas me voir aujourd’hui, et je vais me poser plus loin. Sans rancune hein, t’auras pas de retombées. » Épaules qui se haussent. C’est pas son genre, la rancune, mais ça, il ne le sait pas encore. Il ne se mettra pas en quatre pour le prouver.

Bon, j'ai compris, il a envie de me tenir le crachoir. Ca me fait chier mais d'un autre côté, le bouquin aussi il me fait chier.

Et là il dit un truc qui fait tellement écho à mes pensées - dans un tout autre sens, paradoxalement - que je peux pas m'empêcher de relever - de ricaner.

"Vous vous faites chier ici vous ?" Sûrement, il a pas encore donné de cours. Je sais pas ce qu'il a foutu, probablement se tourner les pouces ou draguer les jolies BBT qui ressemblent à des gamines. "On a des accidents, des morts, des meurtres, des Marques pourtant. Pas de quoi s'ennuyer." C'est tristement banal, en réalité. Dehors. Quand on est résistant, sur le terrain, prêt à en découdre avec l'ennemi - en mission. Ca devrait pas l'être dans un centre de formation, ou quelle que soit la nature de cet endroit dont je suis à peu près sûr qu'il s'agit pas d'une mission. "Ca vous donne pas des envies de Cluedo ?"

Moi j'ai donné.

Pas de retombées. Oh là là, mais c'est qu'il en est imbu, de son statut, le prof. Deux fois qu'il en parle en deux minutes sans que j'aie rien demandé. Si tu veux pas donner l'impression d'abuser de ton statut, commence par pas en parler... J'ai très envie de rétorquer, et d'ailleurs j'ouvre la bouche pour commencer, qu'un supérieur qui abuserait de son statut perdrait le respect de ses hommes. Comme les directeurs avec leur Cluedo justement. Pour autant que je puisse en juger, ça leur a pas fait de bien.

"J'espère bien qu'il y aura pas de retombées. Si un jour vous m'entendez parler d'oublier de soigner des patients parce qu'ils ont pris la dernière part de flan à la cantine, faites-moi plaisir et collez-moi un pain." On doit sentir le changement de ton entre les deux phrases, mais rien d'agressif ou de soudainement boute-en-train. "On peut pas se permettre ce genre de mesquineries si on veut développer un semblant de cohésion et de confiance sur cette île." Les deux maîtres-mots du premier dimanche... "Allez, racontez-moi ça. C'est avec les bouquins le souci ?"

Bon, ça ricane, c’est tout ce qu’il sait faire ? Dédaigner et ricaner ? Pas sûr que ça l’amuse longtemps, Vulcain. Mais il s’emporte un peu, et ça, ça fait plaisir. De la vie, enfin ! Il savait bien qu’il avait du feu quelque part, le médic, et qu’il résonnait aussi. Fait mine d’être blessé à certaines piques, pose théâtrale d’un homme touché en plein cœur manquant de tomber de sa chaise. Il rit aussi, ravi que ça s’emballe un peu. Ravi de pouvoir causer, enfin.

« Eh bien je suis sûr l’île comme vous tous mais je n’ai cours pour le moment, instruction de plus haut, donc… Ouais, c’est assez chiant, ce peu d’espace. » Clairement, il aurait préféré de grands espaces. « Et jouer les détectives c’est pas trop mon truc. Il y a toujours besoin de personnes qui ont du recul sur la réalité, et c’est mon boulot, même si ça peut sembler froid. J’aime pas ce qui se trame, hein, mais j’suis pas du genre à prendre des risques si je sais pas où je vais. » Il hausse les épaules. Clairement, on peut lui reprocher d’avoir été inutile jusqu’à maintenant, reproche qu’on peut élargir à de nombreux enseignants. Il y a eu des morts qu’ils n’ont pas pu contrer, des combats où ils n’étaient pas. Il y a eu Mercure, tuée au combat. Il le sait, n’est pas dupe.

Sourire qui finit de s’évanouir quand Uruz prononce les mots cohésion et confiance. Il ne sait pas quoi répondre à cela, mais il sent la déception amère. Il la ressent aussi.



Le médic l’interroge sur ses bouquins. Vulcain retrouve le sourire et hoche la tête. C’est un soucis qu’il peut régler, en tout cas. « Ouais. J’ai appris les bases de la médicomagie au front, mais je manque vraiment de connaissances théoriques pour pouvoir le faire correctement. Et je pense qu’on aura de plus en plus besoin de personnes comme toi, qui sont capables de sauver des vies. J’suis encore assez loin de ça pour le moment. T’as étudié ça toi, l’anatomie ? Ou c’est un talent naturel ? »

Qu'est-ce qu'il est bavard ce type, mais c'est pas possible. Je sais pas s'il dit vrai, s'il dit faux, s'il meuble, s'il a une logorrhée. Qu'est-ce qu'il est dans le surjeu aussi, à m'en faire sourire aussi presque sincèrement des fois. Mais qu'est-ce qu'il parle. Qu'est-ce qu'il dit comme trucs intéressants aussi, si c'est vrai. Instructions de plus haut pour retarder les cours utiles. Recul sur la réalité - pas s'en mêler, donc.

Qu'il dit.

Et pourquoi il me le dirait ?

Et on revient aux livres. Ils sont épais et pleins de trucs sûrement super intéressants mais qu'est-ce que j'aime pas apprendre dans les livres de médicomagie... j'y comprends rien.

"Beaucoup trop de pratique." je grogne. "On manque toujours de médics. J'ai étudié ce que j'ai pu mais c'est sur le tas que j'ai appris l'essentiel."

Si seulement c'était un talent naturel... je serais sûrement dans un état lamentable, mais au moins j'aurais sauvé plus de gens.

"Si vous avez des bases solides je pense qu'on pourra avoir besoin de vous demain. Je reste pour m'occuper des blessés mais du renfort pour les brancards et les urgences... ça sera pas de refus." L'anatomie spécifiquement... "J'ai étudié l'anat' oui. C'est un des premiers trucs que j'ai appris, ça j'ai pu le faire à l'école. Mais je trouve ça plus simple sur un écorché que dans un livre. Doit y en avoir en salle de médicomagie, si vous voulez qu'on aille voir, c'est juste à côté."

Souvenirs du premier week-end.

Conversation dévie vers les bouquins et la médicomagie. Il confie manquer de connaissances théoriques Vulcain. Ça fait partie des choses qu’on découvre surtout dans le besoin, dans le feu et le sang, quand un camarade en a vraiment besoin, qu’il n’y a pas d’autres solutions. Soigner, c’est pas sa vocation. Il déteste ça. Mais parfois, il n’y a pas d’autres choix. Parfois, c’est ce qui peut faire la différence, une personne formée et compétente. L’île, c’est peut-être l’occasion de devenir moins mauvais. Ils en auront besoin à un moment ou un autre. Il incline la tête alors. « Je viendrai filer un coup de main, mais j’peux pas faire de miracles. Qu’est ce qu’il y a dans la salle de médicomagie ? Des bouquins d’anatomie ou des écorchés ? » Il a pas pu s’en empêcher, c’était trop facile. Il espère quand même que la réponse soit la plus évidente, et que le Durmstrang ne va pas lui répondre avec légèreté qu’ils dépiautent des recrues et les laissent là pour s’entraîner. Enfin… ce serait presque acceptable tant qu’elles ne sont pas de sa délégation, et si elles étaient volontaires.

Il accepte de venir aider, ça m'enlève un poids. A la question, j'ai un sourire sans joie.

"Les deux. Des bouquins avec des schémas, et des écorchés. Version moldue avec les muscles d'un côté et les vaisseaux de l'autre, et version sorcière avec tout sur le même, les organes en prime, et les réactions appropriées à chaque manipulation."

Du style tu sectionnes une artère, ça pisse, et si tu répares pas assez vite c'est game over. Mais comme il est bien élevé, l'écorché sorcier, même une fois que tu l'as tué il se remet en état de marche. Histoire que tu puisses le retuer derrière, en essayant de le sauver d'autre chose.

"Vous verrez, vous me direz avec quoi vous êtes plus à l'aise."

J'aurai jamais aucune objection à consacrer du temps à quelqu'un qui veut sauver des vies.