La journée s’était faite longue. Ce jour-ci, Wunjo avait dû animer l’atelier des combats de la semaine. Ils s’étaient relevés particulièrement intenses. Et l’heure avançait, l’après-midi se terminait, ses paupières se faisaient lourdes.

Wunjo sirotait le café qu’un perdant était allé lui chercher. Il y avait pire, comme gage. Il y avait meilleur, comme café. Un jour, Wunjo se ferait empoisonner par un de ses élèves. Mais il était trop fatigué pour s’en inquiéter. C’était de bonne guerre.

Il avait passé l’après-midi à aider ses élèves, à mettre le doigt sur leurs faiblesses, à leur donner des conseils, à être disponible pour des questions, à lui-même participer, à boire du café, à prendre des notes, à préparer de quoi compléter les dossiers de chaque élève, à aller chercher un nouveau panier d’œufs à la cuisine, à envoyer des élèves à l’infirmerie, et à éviter Uruz.

Wunjo avait toujours pris grand soin de ne jamais se retrouver en compagnie d’Uruz. Sa vue l’avait toujours mis profondément mal à l’aise. Mais le professeur faisait de son mieux pour le cacher, pour que personne ne puisse s’en rendre compte. Il était un assez bon menteur, après-tout il arrivait parfois à se convaincre lui-même qu’il était heureux dans la vie.

Mais avant d’être quelqu’un d’anéanti par la simple présence d’un élève, il était professeur, et il devait en jouer le rôle. Alors, quand Uruz se planta devant lui, Wunjo garda toute sa contenance. Sourire fatigué de circonstance, qu’il essayait d’offrir à tous ses élèves sans distinction. S’il ne le faisait pas pour Uruz, il le faisait pour le reste du groupe, présent avec eux dans le vaste sous-sol. Pour les témoins, qui ne devaient pas s'en rendre compte.
« Uruz ? Je peux faire quelque chose pour toi ? »

Il ne le sentait pas. Le moment était venu. L’instant si redouté.

« J'aurais des questions à te poser
- A propos de quoi ? »

Le ton s’était-il déjà fait un peu plus sec ? Un peu plus tranchant ? Peut-être.
Le même sourire qui se voulait sympathique habillait de visage de Wunjo, mais ses yeux abritaient d’ores et déjà une terrible nuance d’inquiétude, de peur, de culpabilité.

La politesse, c'était terminé.

Uruz jouait à un jeu dangereux, il était venu remuer ce que l'on espérait voir se sédimenter, s'accumuler dans des profondeurs insondables, disparaître. Uruz n'était pas venu jouer le rôle de l'élève, poser des questions sur la classe qui venait de se terminer. Uruz était venu mener l'enquête, mettre en danger, fouiller la merde, ressasser des souvenirs douloureux. Et il était venu le faire face à la foule.

Le sourire de Wunjo s'effaça, sa peur aussi. Ils étaient enfin arrivés à ce moment tant redouté. Dans ses yeux expressifs (et il le savait), il y avait désormais les braises d'une colère qui se déclarait que lorsque l'on touchait à ce à quoi il tenait le plus. Il n'y avait plus de retours en arrière possible.

Sans avertissements, il saisit fermement le poignet d'Uruz. Peut-être serrait-il trop fort, cela n'avait pas d'importance. Et sans avertissements, il disparurent dans un craquement sonore si distinct que ceux présents avec eux au sous-sol ne pouvaient malheureusement pas manquer.