Wunjo avait passé la journée à tourner en rond. Après les événements de la matinée, il s’était enfermé dans sa chambre. Besoin de réconfort, besoin de repos, besoin de penser à autre chose.
La journée avait été frustrante, pleine de remises en question. De lui-même, des directeurs, des professeurs, des élèves. Il n’avait pas bu de café de la journée, cela jouait sur son humeur. Il avait glissé entre éveil et sommeil tandis que le Soleil traversait l’horizon. Il n’avait rien pu manger, il avait repassé ses chemises, était retourné se coucher. Il était finalement sorti, le corps à peine reposé et l’esprit occupé.

On ne lisait pas sur son visage la bonne humeur habituelle, celle journée ne s’y prêtait pas. Son humeur non plus, tout comme les événements de la journée. Il espérait que rien d’autre ne se soit passé, aucun autre dérapage, aucune autre bavure. Il espérait que tout le monde avait correctement fait son travail, pour une fois.

Il cherchait celle à qui il devait des comptes à rendre, celle avec qui il avait le plus de risque de contentieux. La responsable sous le joug de qui l’affaire était tombée. Celle qui avait toujours inquiété Wunjo, celle avec qui il n’avait jamais réellement su sur quel pied danser.

Le professeur avait traversé le bâtiment principal, il était passé par la salle des professeurs, en vain, par le sous-sol, en vain, par la cuisine, en vain. Il saisit une pomme au passage, y mordit une fois, n’avait pas vraiment faim. Il la gardait en main, pour éviter le gaspillage. Il la mangerait plus tard.
Il traversait les grandes étendues d’herbe à sa recherche, on lui indiqua finalement le parc. Il arriva derrière celle qu'il cherchait, non pas qu'il souhaitait la surprendre. « Lé Diabel »

Hors de question de lui sauter dessus à l’improviste, il manifestait sa présence, l’air grave. Sa venue ici était un geste de bonne foi, il espérait qu'elle s'en rende compte.

« T’as deux minutes ? »

Elle était épuisée, vidée de son énergie par sa journée passée avec L'Impératrice un peu trop forte en émotion à son goût. Elle avait eu besoins de prendre l'air, une envie urgente de s'éloigner des quatre murs du dortoir et de se retrouver un peu en tête à tête avec elle même.
Mais c'était visiblement trop demandé qu'on lui foute la paix aujourd'hui. Elle est tranquillement assise en tailleur à l'arrière des serres lorsqu'elle entend ce qui ressemble à son pseudonyme. Elle se redresse en un éclair, main sur la crosse de Molly prête à exploser le centre névralgique de son possible assaillant. Elle retire sa main de son arme en voyant qu'il s'agit de Wunjo, ne baisse pas sa garde pour autant, encore moins son hostilité.
Depuis le début, quelque chose bloquait avec lui. Elle ne saurait dire si c'était le peu qu'elle savait de son passé, sa perpétuelle bonne humeur horripilante, ou sa dégaine savamment monsieur parfait qui cachait quelque chose, elle en était certaine. Sans doute un mélange des trois. Elle était peut-être paranoïaque, ou peut-être qu'elle avait raison de se méfier, toujours est t-il qu'elle n'avait pas envie de découvrir la réponse à ses dépends.
Non elle a pas deux minutes, pas pour lui. "Qu'est ce que tu veux ? T'as encore la baguette qui te démange et envie de finir le travail ?" elle pique, l'air amer.
Elle n'avait toujours pas digérer l'audace et l'insolence. Qu'on remette en question sa capacité à gérer l'une de ses propres recrues c'était une chose, qu'on lui lance un sortilège dans le dos s'en étais une autre. Elle était persuadée qu'elle devait la moitié de sa fatigue à lui et son action aussi impulsive que stupide.

Wunjo se tenait droit, face à celle dont la colère n'avait pas désempli.

Quand il avait croisé son regard révolver pour la première fois, le matin-même dans l'amphithéâtre, il s'était mis à couvert derrière un mur de colère, d'impulsivité, de tension, de peur. Il avait fait ce qu'il avait fait parce que la situation lui paraissait hors de contrôle, qu'il s'était instinctivement dit que s'il ne faisait rien, les choses partiraient à vau l'eau.

Plus les heures étaient passées, plus le mur qu'il avait lui-même érigé pour se convaincre qu'il avait eu raison commençait à s'effriter. Des briques manquaient dans son raisonnement, le ciment de la colère s’était évaporé, plus rien dans ses gestes ne tenait pas la route. Il avait peur pour l'avenir de l'île, pour son propre avenir, pour ce qu'il était venu protéger, mais cela ne justifiait pas tout. Au contraire. Il n'était pas le seul à vouloir que ce projet persiste, il n'était pas le seul à en avoir les compétences non plus.

« Je suis venu mettre les choses au clair. »

Mauvaise formulation, il le sut dès qu’il entendit ses propres mots. C’était sa fierté, l’incapacité qu’avaient n’importe quelles psychés de se penser en tort, d’admettre, malgré les faits. Dissonance cognitive qu’il était venu corriger.

« Je suis venu m’excuser. »

C’était déjà mieux. Mais toujours difficile. Pourquoi était-ce si difficile ? Wunjo n’avait jamais été quelqu’un à l’égo surdimensionné, au contraire.

Pas le moins du monde d'humeur diplomate - elle avait déjà donnée sa dose aujourd'hui. Wunjo avait mis à l'ordre du jour une jurisprudence du non-respect et elle avait envie de lui remettre les idée en place à coup de pic à glace. Mettre les choses au clair. Elle hausse un sourcil, surprise, pour un type qui semblait se la jouer philosophie drapeau blanc aujourd'hui c'était une entrée en matière un peu trop menaçante à son gout, et au bout des doigts, sa pianote légèrement par réflex sur l'étui de Jack. Il se reprend, mais pour elle c'est encore pire. Elle a un rire mauvais et méprisant qui résonne à cette déclaration.
"Je veux pas de tes putains d'excuses." Elle détestait ça, cette idée comme quoi les excuses résolvaient les problèmes. La théologie avait beau leur apprendre que le pardon était accordé à ceux qui le réclamait, elle était pas un pasteur, alors ses excuses il pouvait les garder. "C'est facile de faire de la merde puis de s'excuser. T'as pas remarquer que les humain ils passent leur temps à ça ? Dire qu'ils sont désolé comme si ça effaçait le tableau et qu'il pouvait alors recommencer les mêmes erreurs, pour lesquelles ils s'excuseront encore."
A chaque fois qu'elle voyait quelqu'un se rétracter, faire ses meilleurs yeux de chapeauté, baisser les épaules et présenter ses excuses avec leur plus beau jeu de l'humain plein de regret ça lui hérissait le poil. Et puis est-ce qu'il savait exactement pourquoi il ressentait le besoins de se faire pardonner au moins ? Ou est-ce qu'il avait des oeillères d'égocentrisme trop épaisses ? "Regarde toi, si t'as t'écorchait pas la gueule d'admettre que t'as eu tord, tu les auraient déjà présentées tes excuses bidons, au lieu de te contenter de me dire que c'était ton intention."

« Je ne suis pas venu demander ton pardon, je suis venu te présenter mes excuses, précisait Wunjo. Calme malgré la rancœur à laquelle il faisait face, diplomate qui excellait habituellement en maîtrise de soi malgré l’emportement qu’il avait connu le jour-même. Ce serait t’insulter que de considérer que venir dire te dire ‘je suis désolé’ suffirait à effacer ce qu’il s’est passé ce matin. »

Avait-il préparé ce discours à l’avance ? Un peu. Cela l’avait aidé à se motiver, à se mettre en route, à enfin sortir de sa chambre, à accepter ses torts.

« J’ai agi sans réfléchir plus loin que ma petite personne et mes propres intérêts, j’ai laissé la colère m’emporter, je n’aurai pas dû, je le sais maintenant même s’il est trop tard. Il concentrait son regard sur celui de la jeune femme, toujours aussi bouillonnante, espérant qu’elle comprenne quelle était sa démarche ce soir-là. Tu peux prendre le temps qu’il faudra pour entendre ce que je te dis, si jamais tu acceptes de l’entendre. La balle est dans ton camp. »

Peut-être était-ce condescendant de donner à leur relation une telle teinte, peut-être la jeune femme se vexerait encore davantage. Ce que faisait Wunjo malgré lui, c’était créer un récit dans lequel il avait fait le premier pas, et où une éventuelle absence de réciproque opposerait irrémédiablement le camp de ceux prêts à enterrer la hache de guerre, et ceux incapables d’en faire autant.
Wunjo le savait, mais il n’avait pas le choix. Pourvu que ça marche.

« J’ai ouvertement participé au chaos ce matin, je ne veux pas que cela se reproduise. »

Elle écoute, attentivement, la raisons n'était pas forcément l'intérêt des propos, plus la recherche de leurs failles. Mais c'est le résultat qui compte non ? Sauf si c'était l'intention. Peu importe. Elle s'apprête à l'incendier sur milles générations mais elle se coupe dans son élan, intéressée par un détail en particulier. "La balle est dans mon camp" elle répète d'abord d'un ton neutre, presque pensif et doucement un sourire presque prédateur se dessine sur ses lèvres et une lueur mesquine allume son regard.
"T'as raisons, t'y as participé activement." Elle se déplace, se rapproche, féline a envie de donner une leçon, et elle a une idée très précise derrière la tête. "Tu as salit l'image de l'Esperanto, des professeurs, de la direction. Et tu as jeté un sortilège à un élève en pleine crise existentielle, aggravant les dommages que J'AI du réparer toute la putain de journée. Et la dernière chose que j'avais envie de faire c'était du mal à l'un des miens."
Elle tourne autour de lui, rôde, une main qui se pose sur l'épaule, passe dans le dos pour rejoindre sa jumelle, lorsqu'elle se retrouve de nouveau face à lui ses doigts viennent pianoter sur sa baguette.
"Je maintiens que je me fou des excuses, tes jolies discours ils résoudront rien. En revanche je crois aux actes qui parlent à sa place." elle a la voix suave et glaciale à la fois. "Alors si tu es vraiment sincère, et que la balle est vraiment dans mon camps, je demande l'arme qui a attaqué mon élève en guise de réparation."

Dire que Wunjo n’avait pas considéré la demande de la femme aurait été mentir. Combien de temps ? Qu’en ferait-elle ? La laisserait-elle quelque part, ou la garderait-elle sur elle ? Qu’avait-elle prévu d’en faire, en fin de compte.
Il resta figé quelques instants, les yeux rivés sur elle. Il avait ignoré du mieux que possible le passage de sa main joignant une épaule à l’autre, contact physique qui le mettaient si facilement mal à l’aise. Il n’avait pas sourcillé parce qu’il n’avait besoin de rajouter ni faiblesse ni affront supplémentaire à sa plaidoirie, déjà assez mal reçue comme cela.

Wunjo se décida enfin, et saisit le poignet du Diable. « Non. A peine quelques semaines plus tôt, un élève avait été accusé à cause d’une baguette trouvée sans son propriétaire. C’était alors hors de question pour Wunjo de la seule chose qui le protégeait sur cette île, à quelques personnes près, et qui pouvait aussi servir à le faire accuser. Si tu veux exhausser tes fantasmes de vengeance et de soumission il va falloir trouver quelqu'un d'autre. »

Il lui lâchait la main, dans un geste de rejet qui lui suggèrait de ne pas réessayer.

« Tu ne veux pas de mes excuses, tant pis pour toi, c’est tout ce que t’auras. Grandit un peu. »

Il fit volte-face et s’en alla comme il était venu, d’un pas décidé, résolu à ne plus lui laisser de seconde chance.

Il attrape son poignet et elle se tend, son autre main se pose sur son couteau, réflex pur qui prouve cependant qu'elle n'accorde absolument aucune confiance à celui qui se trouve devant elle. Elle bouillonne, parce qu'elle le savait, elle savait qu'il ne ferait absolument aucun effort, qu'il ne venait que pour la forme et soigner son image de monsieur parfait "que de la gueule, zéro couilles" elle lui crache au visage son hostilité et sa déception.
Il ose lui tourner le dos et s'en aller, sauf qu'elle n'en a pas fini avec lui, et si il croit s'en tirer à si bon compte. Elle attrape le premier objet sous sa main qui ne soit pas l'une de ses armes, un caillou sur le sol, et lui balance à la tête. "On a pas fini Wunjo. Tu crois que la vie est simple ? Que t'as justes à montrer ta belle gueule et l'accessoiriser avec des beaux discours pour que tout roule dans ton sens ?"

Elle a les traits qui s'assombrissent, parce qu'elle est rancunière, parce qu'elle a passée une sale journée, et parce qu'il a beau prétendre vouloir arranger les choses, il fait autant d'effort pour se racheter que Kanye West pour ne pas dire de la merde sur twitter. C'est à dire pratiquement aucun.
"T'essaie même pas de savoir pour combien de temps je te réclame ta baguette, non toi tu vois juste qu'on veut te retirer le contrôle et toutes tes si belles résolutions de médiations fondent comme neige au soleil." Pathétique. Ça ne lui confirmait que ce qu'elle pensait depuis le début, que son petit numéro c'était du vent. "Tout ce qui t'intéresse c'est ta petite conscience. Tu l'ouvre que pour déblatérer sur tes états d'âmes, rien sur moi, rien sur l'impératrice. Encore moins sur la raison pour laquelle je me trouvais ici, planquée en dehors de mon dortoir." torturer un élève était loin d'être son activité préférée, encore moins un français, encore moins celui qui partageait la même hybridation qu'elle.
"Mais puisque c'est ta personnes qui t'intéresse avant tout, soit, je me passe de la baguette et je vise directement le propriétaire. Mais pas ici, je lave pas mon linge sale en publique. Au sous-sol" elle ne laissait pas beaucoup de place à l'interprétation. Pour attendrir de la viande, il fallait la battre.

Il ignorait ses insultes, mais il suffit d’un caillou pour qu’il se retourne, accompagné d’un torrent de mots qui, de toute évidence, semblait intarissable. Avait-elle au moins écouté ce qu’il lui avait expliqué. Tout ne coulait pas dans le sens de Wunjo, il était le premier au courant merci.


Il avançait de quelques pas vers elle. « Ce n’est pas une question de pouvoir, c’est une question de sécurité. T’as pensé à l’endroit où on se trouve, un peu ? Mais non, visiblement t’es incapable de voir plus loin que le bout de ton nez. »

Il continuait d’avancer vers elle, fermant l’espace qu’il avait pourtant réussi à mettre entre eux deux. Il posait le doigt sur le torse du Diable, il continuait d’avancer, la forçant à reculer. Qu’elle ne recule pas, ils se retrouveraient dans une proximité génante, dans laquelle Wunjo la dominerait de sa taille. Il ne portait pas attention à ses reflexes de pseudo-militaire minable, à toujours vouloir garder la main sur une arme pathétique, parce qu’il savait qu’elle n’en ferait rien. Que de la gueule, de toute façon.

« Tu veux qu’on parle de toi ? Très bien on va parler de toi. Qu’est-ce qu’il y a à dire ? Demi-vélane médiocre, qui se croit l’incarnation même de la résistance parce qu’elle a une place sur cette île. Devine quoi, t’es pas la seule ma chérie. T’as probablement une histoire tragique, à vouloir venger tes parents ou quelqu’un du genre, comme les trois quarts des gens sur cette île. T’es pas la seule, t’es pas spéciale, cette île s’en branle de tes états d’âme. Et ne me parle pas de l’Impératrice, à t’écouter je devrai presque être content que t’aies réagi. T’es pas fière de ce que t’as eu à faire pour le recadrer ? Ça s’appelle faire un sacrifice, mettre sa personne de côté, c’est ton boulot, et si tu l’avais fait plus tôt on n’en serait pas là. Est-ce que moi je viens me plaindre de ce que j’ai dû faire pour avoir ma place ici ? Non, parce que je suis un adulte. Alors grandit un peu. »

Il marqua une pause.
« Mais puisque c’est ton mépris qui compte avant tout, soit, concluait-il, reprenant la formulation de l’éternelle gamine qu’il avait en face de lui. Ça ne mènera à rien, mais c'est toi qui décide. Sache que je n'en ai pas envie. Si demain, en fin de journée, tu n'es toujours pas calmée, on règle ça au sous-sol. »

Il s'avance, un peu trop, réduit la distance et la touche, elle a la main serrée sur la crosse de Molly, et elle se recule pas d'un seul pas, et peu importe si elle doit lever la tête pour pouvoir continuer de le fusiller du regard. Elle . Ne . Reculera . Pas.
Il creuse sa tombe à chaque mot et elle hallucine de le voir déblatérer autant de conneries à la seconde. A quel moment elle s'était prétendue spéciale ? Contrairement à certain elle ne s'était pas donnée en spectacle, elle n'avait pas ouvert sa gueule, elle n'était pas aller chercher la merde. Non, on était venu la trouver, il était venu la trouver. Non il ne devrait pas la remercier, les remerciements avaient autant d'impact sur elle que les excuses : aucun. Elle ne croyait pas aux paroles, que aux actes. Elle en a franchement assez qu'il ouvre sa grande gueule pour l'insulter, elle entend à peine l'accord pour régler ça le jour suivant au sous-sol. Elle voit rouge. Sa main quitte la crosse pour siffler dans l'air et le gifler de toute ses forces. Mais Wunjo a de bon réflexes, et il esquive le coup sans mal.

Spoiler:

La gifle, il la vit venir à des kilomètres. Il n’eut qu’à se pencher en arrière pour l’éviter, et la main de la jeune femme passa devant lui. Elle était accompagnée d’une légère brise, semblable à ce qui devait circuler entre les deux oreilles du Diable.

« Tres bien, je note. Demain à 18h, je nous réserve le sous-sol, si tu n’es pas calmée d’ici là. Je viendrai seul, tache d’en faire de même. »
Il concluait ainsi, le ton plein de dédain pour une femme qui semblait incapable de contrôler ses pulsion. Animal hors de contrôle qu’il avait été assez idiot pour imaginer capable de communiquer.

Une dernière fois, il tourna sur ses talons et s’en alla.