Attablée devant sa fenêtre, thé entre les mains, air endormi. Mizuchi avait passé une partie de la nuit à achever les préparatifs de son cours, et manquait d’un peu de sommeil. Cependant, le souvenir de la superbe autruche murmurant des mots doux à son oreille l’avait convaincue de se lever de bonne heure. Honnêtement, elle l’avait presque oublié, ce rendez-vous. Il avait fallu beaucoup de matcha et un regard vers l’arbre, à travers sa fenêtre, pour l’éveiller complètement à son programme de la matinée.

Fredonnant pour elle-même un air coréen de son enfance, elle enfila une brassière noire très simple et un jogging trop grand. Cheveux relevés en queue de cheval, bouteille d’eau, snickers. Après un instant d’hésitation, elle emporta aussi sa baguette et une serviette dans un petit sac de coton. N’importe quelle autre séance de sport n’aurait pas nécessité son instrument, mais elle rechignait de plus en plus à baisser sa garde sur cette île.

Ainsi accoutrée, sans gants, cheveux attachés, son corps fuselé évoquait encore plus celui de ses ancêtres. Elle n’avait jamais caché son sang hybride, mais savait que son compagnon d’exercice matinal, bien que médic de profession, ne la regarderait pas comme un rat de laboratoire. Elle en avait fini depuis longtemps avec la honte, et embrassait pleinement ses étranges capacités, quitte à risquer les acidités d’un quelconque intolérant.

La naïade rejoignit donc tranquillement Uruz au pied de l’érable, à peine en retard, sinuant de bien-être à l’idée d’une séance de sport intensive avant l’arrivée de la véritable chaleur du jour. Elle l’aperçut de loin, sourire en coin en notant la rigueur de sa posture et le méthodisme de son échauffement. Et peut-être aussi en constatant qu’il n’avait pas attendu son arrivée pour renier le concept du tee-shirt – accessoire dispensable, du reste, elle ne se plaignait pas.

« Bonjour ! » fit-elle avec entrain, déposant ses affaires après une gorgée d’eau. Elle s’étira de toute sa longueur, souple créature, tirant sur tous ses muscles et frappant ses membres pour les tirer des dernières volutes de sommeil.

« J’ai besoin d’une séance difficile, ce matin. » fit-elle simplement, les yeux clos face à l’est. Elle se gorgea de soleil pendant quelques seconde, les mains sur les hanches, puis se tourna à nouveau vers Uruz, le monde teinté de bleu après son bain de lumière. A l’armée, on ne demandait pas l’avis des soldats sur le contenu des séances de muscu, mais elle ne voulait pas de ce rôle ici. Un sourire en coin se dessina donc sur ses lèvres quand elle proposa le premier exercice.

« On commence par dix tractions ? »

Pas question aujourd’hui de jouer à la plus grosse, ils étaient sérieux. Tous deux savaient que l’autre n’avait pas de problème avec cet exercice, aussi n’attendit-elle pas la réponse de la recrue, et s’agrippa-t-elle à une branche plus mince que la dernière fois, plus propice à s’agripper. Elle attendit qu’Uruz fasse de même, et entama sa série en respirant correctement. Les dix répétitions étaient propres, régulières, en rythme avec son partenaire aux épaules pourtant plus larges. Elle se laissa tomber au sol et attendit qu’il propose à son tour un enchaînement, prête comme jaja à se déchirer les muscles et les poumons.

dés tractions:

Dédé:

Séance difficile, c'est idiot, mais parfois Mizuchi avait l'impression que c'était la seule chose qui pouvait lui vider la tête et la faire se concentrer sur le coeur du problème. Aujourd'hui, le coeur du problème était ailleurs, mais il grattait parfois à la paroi de son crâne, voulait s'y introduire, disperser ses murmures. Alors elle fit ses tractions avec diligence, se perdit dans l'effort de ses muscles tirés, de son dos, de ses abdominaux.

Elle retomba un court instant avant Uruz, secoua ses mains pour les relaxer, reporta son regard sur le scandinave. Il était grand, il était blond, il était gonflé à bloc. Ce genre de beauté nordique ne l'avait jamais vraiment touchée, mais elle devait admettre qu'il dégageait quelque chose, le bougre.

L'assurance, l'arrogance presque du professionnel. Le regard brillant de la bonne santé, posé sur elle comme sur quelque chose de joli, un peu dans le flou. Elle sourit de surprendre cette drôle d'expression sur le visage noble du jeune homme, et opina à sa première proposition. La suivante cependant la fit tiquer. Qu'avait-il à prouver ? elle le scruta, amusée et curieuse.

"Je ne refuse jamais de nager un peu." fit-elle sans dérision. Qu'importait la raison, elle ne disait jamais non devant l'opportunité de se retrouver dans l'eau froide, de quitter la fermeté du sol pour fendre la surface à son rythme. "D'ailleurs, si ça ne te dérange pas, allons-y maintenant." C'était trop facile, les squats, elle allait s'endormir sous l'érable à ce rythme.

Mizuchi n'avait aucun problème de pudeur. Ignorait ce qu'il en était du côté du blond. Bon, il était médic, il y avait des chances que l'anatomie ne fut pas sa préoccupation première. Sans inquiétude donc, la naïade s'éloigna, récupéra son sac, et en tira une étrange lanière de cuir équipée d'une boucle. Elle retira chaussures et jogging, sans gêne, et attacha à sa cuisse droite l'étrange accessoire. Elle avait parfaitement conscience de ce qu'elle faisait, usait de ce pouvoir là sans honte. Quelle honte ? Manquerait plus que ce soit sa faute.

Sa baguette trouva un instant plus tard sa juste place dans ce qui s'avérait être un fourreau. Elle ne laisserait pas l'objet abandonné sur la berge, et même elle n'avait aucune idée de ce qui pouvait bien se cacher dans ces lacs opaques. Elle se tourna vers Uruz, parfaitement à l'aise dans ce qui était d'après elle sa présentation la plus confortable. Sous-vêtement noir, simple, ajusté en V pour souligner le fuselage de ses hanches. Et sa brassière de sport, inchangée. Elle n'avait pas froid, n'attendait que son signal, ses mains membranées posées sur ses hanches avec désinvolture. D'un petit mouvement de tête, elle désigna la berge et l'étendue d'eau sûrement gelée du lac le plus proche.

"A toi l'honneur, Aquaman, voyons ce que tu vaux."

Fallait pas la provoquer, en même temps. Elle s'était peut-être jetée un peut trop vite sur la possibilité d'aller piquer une tête, ou peut-être sur celle de tomber le jog' et prendre note du regard brillant d'Uruz. Il répondit à son enjouement par un effeuillage protocolaire, sans pudeur, ce que Mizuchi appréciait.


Elle le suivit vers la berge, et marcha quelques mètres le long du ponton nord. Son regard se perdit dans les vaguelettes reflétant le soleil déjà haut au-dessus d'eux. Un coin préféré, elle n'en avait pas. Mais partir du ponton était au moins l'assurance qu'il y aurait assez de fond. Elle ne testa pas la température de l'eau, ce genre de détail ne la préoccupait pas. En revanche, elle vérifia pendant quelques secondes que la zone n'était pas infestée de strangulots, ou d'autres sympathiques locataires, comme elle le craignait chaque fois. Pour elle, ce n'était pas vraiment un problème, encore une fois, mais elle ignorait ce qu'il en était d'Uruz. Enfin, il avait amené sa baguette et était tout sauf vulnérable. Il se débrouillerait hein.

Sans lui jeter de dernier regard, elle s'élança. Une courbe pure et pas d'éclaboussures. Elle s'enfonça dans l'eau sombre, disparut pendant plus d'une minute. La sensation de l'eau fraîche, de sa peau fendant les flots sans difficulté, de ses branchies qui s'ouvraient avec délectation était incomparable. Elle inspira profondément, grisée par l'eau froide. C'était un état que personne ne pouvait comprendre, qui la bouleversait.

Une centaine de mètres plus loin, elle perça la surface et fit signe à Uruz, un vaste sourire aux lèvres. L'euphorie de la baignade la frappait comme un shot d'adrénaline. Mizuchi leva les mains et, concentrée, développa les membranes entre ses doigts jusqu'à la moitié de leur envergure. Sans effort, elle se maintenait à la surface, allongée sur le dos, le visage baigné de soleil, un sourire extatique sur les lèvres.

Extatique dans son coin de lac, Mizuchi attendait gentiment que son compagnon la rejoigne. Elle l'observa plonger, nager, sans en perdre une miette. Pas vraiment pour se rincer l'oeil (vous l'avez ?) mais par intérêt purement culturel. Une grosse minute et demie, pour parcourir les 150 mètres qui les séparaient. Pas mal, surtout pour de la nage souple. Et il filait, le bougre. Il était particulièrement difficile de ne pas avoir l'air maladroit dans l'eau, d'après elle. Et Uruz en cet instant réalisait l'exploit de lui offrir un spectacle admirable. Presque même gracieux.

Ricanant intérieurement à cette réflexion entièrement laissée sur le compte de ses gènes aqueux, Mizu haussa les sourcils devant son arrivée en brasse, et fit cette petite moue appréciative qu'elle réservait aux grandes occasions. Oui, pour la naïade, nager avec quelqu'un d'un tant soit peu qualifié, c'était jour de fête. Elle capta son regard attardé le long de ses mains, s'attendait à une remarque qui ne vint jamais. Lui aussi savait faire preuve de tact discret. Elle ne l'aurait pas mal pris, cependant. Ce n'était pas un objet de honte ou de secret.

"Pile comme il faut !" répondit-elle en souriant. En réalité, elle ne sentait pas vraiment la différence entre une eau gelée et une eau tempérée. Son corps faisait un incroyable travail de régulation pour elle, et elle ne s'en plaignait pas.